“Mademoiselle Else”, quand les tourments mis à nu touchent au sublime

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  “Coup de cœur”

Critique éclair

La grâce altière dans sa plus pure expression siège au Théâtre de Poche-Montparnasse depuis qu’Alice Dufour se glisse dans la peau de « Mademoiselle Else ». Par son interprétation tout en intensité et retenue, elle plonge l’intimité de la salle dans une lumière captivante. Elle incarne une jeune fille sur la crête, en équilibre entre l’adolescence et l’adulte. Quand l’insolence et l’insouciance s’amusent à aiguiser ses sens, laissant poindre un désir de femme, une épreuve inattendue la pousse à s’interroger sur la honte, et surtout le prix de la honte. Cette jeune fille encore en fleurs, à l’exubérance mutine, est brutalement confrontée à un dilemme moral, cruel et indigne, où il faut choisir entre la vile soumission ou le don de soi. Au centre d’un marchandage, elle peut sauver son père de la ruine et de la prison si elle se montre nue devant M. De Dorsday, un vieil antiquaire au regard libidineux, mais au compte en banque confortable. En adaptant en monologue la pièce de l’écrivain et médecin viennois du XIXe siècle, Arthur Schnitzler, Nicolas Briançon place l’héroïne au centre. Par une scénographie évocatrice et le parti pris de voix off, il fait exulter les tourments psychologiques du personnage au paroxysme de la beauté outragée. Une beauté tragique qui appelle la mort alors qu’elle est la vie.

Résumé

Habillée d’impertinence malicieuse, Mademoiselle Else occupe son mal-être de jeune fille gâtée et désœuvrée à se moquer des clients du palace italien, dans lequel elle est en villégiature. Il y en a un en particulier qui l’insupporte avec son œil doucereux de vieux barbon qui la déshabille d’un battement de cils. Elle s’en amuse tout en trouvant l’idée repoussante. Elle est belle, elle le sait, d’une beauté indécente, à faire rougir le miroir contre lequel elle plaque un corps parfaitement nu. Miroir, dis-moi qui est la plus belle ? Mademoiselle Else, bien sûr ! s’époumonerait celui-ci, s’il avait un cœur à revendre. Sauf qu’à 19 ans, Mademoiselle Else aimerait qu’on l’embrasse pour de vrai, qu’on l’enlace, qu’on la repaisse d’amour jusqu’aux soupirs d’extase. Que ne donnerait-elle pas pour un rendez-vous galant ? C’est dans cet esprit d’exacerbation des sens que la réalité va la rattraper méchamment. Une lettre de sa mère qui la presse de convaincre M. de Dorsday, un de leurs amis également dans le palace, de leur prêter 30 000 guldens, pour sauver la famille du déshonneur. Or, c’est le barbon en question qu’elle exècre. Si seulement le désagrément s’arrêtait là. Hélas ! L’antiquaire est gourmand. En homme d’affaires matois, il conditionne son aide financière au désir de la contempler, nue, durant quinze minutes. Tiraillée entre l’amour filial et le refus de se soumettre, Mademoiselle Else passe par toutes les affres des émotions, mais imagine les conséquences lourdes d’un refus. Elle est piégée dans un choix cornélien, dont elle ne sait comment se sortir sinon qu’en invitant la mort à la tragédie. C’est le prix de son honneur, à elle.

Pour approfondir

Mademoiselle Else est un corps exacerbé par le désir refoulé. Elle est à la fois soumise à ses pulsions et farouchement libre de disposer d’elle-même. Dans ce rôle de composition délicat, où alternent séduction et dégoût, fureur et fatalité, Alice Dufour est éblouissante. Sensible, émouvante, donnant leurs lettres de noblesse aux excès de la jeunesse, la comédienne est une Mademoiselle Else très humaine, forte et fragile, pragmatique dans sa douleur, en équilibre précaire entre raison et folie. Danseuse de formation, Alice Dufour occupe l’espace de son corps gracile, qui accompagne si bien le rite de passage forcé pour entrer dans le monde des adultes. Elle donne à voir et à ressentir l’écartèlement moral du personnage, les errements de l’esprit torturé, donnant corps au traumatisme psychologique. Si Mademoiselle Else est une réussite dramaturgique, c’est aussi parce que le texte d’Arthur Schnitzler a été adapté en un monologue percutant par Nicolas Briançon. Intérioriser les pensées de la jeune fille donne au fil narratif une densité originale, une puissance inattendue à un corps à corps intérieur qui exulte et rugit de vie. Cette forte impression est confortée par une mise en scène et une scénographie diablement inspirée. Les lumières de Jean-Pascal Pracht jouent avec les traits du visage, soulignent les émotions qui traversent le personnage. À un instant, on croit même y voir la mort se décalquer. Les vidéos d’Olivier Simola parachèvent l’intérieur suggestif d’un palace du début du siècle dernier, nous projetant au statut de clients, observateurs sidérés, admirateurs muets, mais spectateurs comblés. Du grand art !

Nathalie Gendreau
©Claude Pocobene


Distribution
Avec : Alice DUFOUR
Avec les voix de : Anne CHARRIER – Michel BOMPOIL – Francois VINCENTELLI – Magali LANGE et Cécile FISERA

Créateurs
Auteur : Arthur SCHNITZLER
Metteur en scène et adaptateur : Nicolas BRIANÇON
Lumières : Jean Pascal PRACHT
Vidéo : Olivier SIMOLA
Costumes : Michel DUSSARAT
Son : Emeric RENARD

Du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 15 heures, jusqu’au 3 janvier 2021.

Au théâtre de Poche-Montparnasse , 38, boulevard du Montparnasse, Paris VIe.

Durée : 1 h 25

Tarifs à partir de 20 € – 10 € (-26 ans)

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