Avec Madame Marguerite, Stéphanie Bataille donne beaucoup et jusqu’à la folie !

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

La pièce Madame Marguerite et l’interprète du rôle-titre produit une rencontre artistique détonante, passionnelle et militante. Après Annie Girardot, c’est au tour de Stéphanie Bataille de la vivre en se mesurant au personnage d’institutrice de CM2, dont l’obsession est l’éducation, sans hypocrisie ni tabou. Madame Marguerite n’occulte rien de la vie, elle ne dit à ses élèves que la réalité et rien que la réalité, aussi crue et violente soit-elle, avec une méthode sans filtre. Créée en 1974, la pièce de l’auteur brésilien Roberto Athayde a été scéniquement actualisée par une mise en scène d’Anne Bouvier plus démonstrative, aux émotions plus extériorisées, soulignant la folie. Comme en 1974, il y a un tableau noir mais les inscriptions sont plus crues. L’extravagance d’une jupe-tailleur assortie de baskets a fait place à la décontraction plus neutre d’un pantalon et d’une chemise blanche. L’extravagance du personnage que fait renaître Stéphanie Bataille est dans le comportement. Si le code vestimentaire a évolué, le contenu des propos a traversé les époques sans hiatus. Le texte agressif et jugé subversif, qui dénonçait alors le régime militaire au Brésil, n’a pas perdu de sa violence ni de sa justesse, notamment sur la nécessité de s’instruire pour s’émanciper de tout pouvoir.

En quelques traits, le décor d’une salle de classe est dressé : tableau noir immaculé, bureau peuplé de livres et squelette blanc. L’arrivée sur scène de l’enseignante fait l’effet glaçant de ce premier jour d’école où l’enfant comprend qu’il va batailler toute une année contre la sévérité de son institutrice. Le cours commence par des paroles sans ambiguïté. Madame Marguerite exige des élèves une obéissance aveugle. Elle entend modifier leur cerveau pour les préparer pour l’existence qui ne fait aucun cadeau. Sans mensonge, elle veut les guider vers le chemin de l’épanouissement à force d’instruction, de commandements et de recommandations ressassés. Le seul chemin est l’école, leur deuxième foyer. “C’est avec des livres qu’on construit une nation“, clame-t-elle avec la verve d’une enseignante qui donne tout, y compris ses blessures. Surtout ses blessures.

Endosser ce rôle est un défi de haute voltige que Stéphanie Bataille relève avec énergie. Elle incarne une Marguerite névrosée, à la passion débordante qui se déverse en monologue torrentiel, embarquant dans son flot continu les spectateurs ramenés au rang d’élèves. La folie s’intensifie au fil du cours. Elle est palpable grâce à l’actrice performeuse qui éructe et débite des leçons de chose, mais pas seulement ! La justesse du propos navigue côte à côte avec l’exubérance du jeu, parfois s’entrechoquant, parfois chaloupant en accord. Ces contrastes construisent un personnage ambivalent, singulier, attachant même. Quant à l’humour d’origine de cette pièce tragi-comique, il est tamisé par un état d’urgence permanent qui colore l’atmosphère d’une salle de cours en mobilisation militaire.

Et au-dessus de ce terrain miné de la vie évolue une funambule. Sur son filin de mots tressés, serrés et denses, disciplinés et exigeants, l’artiste suit sa ligne de conduite, pourtant jonchée de ruptures de rythme mais d’une égale intensité, avec une maîtrise absolue. Aussi impeccable dans la diction que dans la démonstration, Stéphanie Bataille interprète une Marguerite inédite qui, derrière sa sévérité, cache une bienveillance en éternelle convalescence. Marquée à vie par l’injustice, l’institutrice s’empresse de transmettre son expérience, à n’importe quel prix, afin que ses élèves deviennent des adultes ayant le souci de faire le bien : “C’est la seule façon d’être heureux“. Pour vous, la seule façon de suivre ce cours inclassable et hautement généreux est de grimper jusqu’à la “Salle Paradis” du Lucernaire !

Nathalie Gendreau

Distribution

Avec : Stéphanie Bataille.

Créateurs

Auteur : Roberto Athayde

Mise en scène : Anne Bouvier

Du mardi au samedi à 15 h et 19 h, selon les jours, jusqu’au 27 janvier 2018.

Au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 75006.

Durée : 1h15.

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