“Les trois vies de Miss Belly”, Judith Rapet

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 131)
“Une rumeur qui montait de l’entrepont se propagea jusqu’aux ponts supérieurs et chacun se rua à bâbord. La terre était en vue et, après ces huit jours au beau milieu de l’océan, elle apparaissait comme le symbole d’une renaissance et de tous les espoirs. D’abord petit point minuscule à l’horizon, cette incroyable et phénoménale statue se dressant sur sa petite île sembla colossale à Célestine lorsque le bateau fut à sa hauteur. Elle ne parvenait pas à se détacher les yeux de “La Liberté éclairant le monde“, se disant que sa famille en avait acheté une infime partie, à vrai dire si dérisoire qu’elle en était insignifiante.”

“Les trois vies de Miss Belly”, Judith Rapet

Avis de PrestaPlume ♥

« Dans un tiroir, quelques vieux papiers avaient attiré mon attention : des lettres d’un autre temps, quelques photos de cette Belle époque qui me fait tant rêver et une coupure de presse au papier jauni… » Et si le malheur se léguait de mère en fille, comme s’ajoutant au trousseau de mariage, bien tapi entre les bijoux de famille et les espoirs de bonheur, attendant son heure pour frapper ? Justine, la narratrice des « Trois vies de miss Belly », aux éditions De Borée, investit son roman familial pour rompre ce maléfice génétique. À l’appui de son enquête pour reconstituer la vie – surprenante et originale pour l’époque – de son aïeule Célestine Belly (1870-1957), l’auteure nous livre la destinée mouvementée d’une couturière talentueuse et ambitieuse, qui quitte sa Charente natale pour traverser l’Atlantique avec son amant afin de fuir la violence conjugale. Outre ce travail de mémoire personnel, ce roman offre une immersion documentée dans l’époque fascinante entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe dans la France rurale et l’Eldorado américain, à cheval entre le conservatisme et le modernisme. D’emblée, le lecteur est transporté par cette biographie romancée qui ne connaît aucun essoufflement, à l’instar de son héroïne dont le caractère indépendant et « fleur bleue » fait étrangement bon ménage.

Résumé

Célestine est une jeune fille d’un naturel heureux et entreprenant. Elle est passionnée par la couture, métier pour lequel elle est très douée, notamment pour concevoir des modèles en s’inspirant des plus grands créateurs. Alors qu’elle rêve d’en vivre, l’homme dont elle tombe follement amoureuse et qu’elle épouse se révèle être un tortionnaire domestique. Battue et humiliée, elle s’enfuit aux États-Unis avec Ferdinand, lui-même malheureux en amour. Ils ne connaîtront pas les déboires de bon nombre d’émigrés. Ferdinand a des biens et des relations, Célestine a toujours ses doigts de fée et l’envie de créer décuplée par des années de frustration. Dans un pays en pleine mutation, où tout paraît possible à celui qui se lève tôt et qui croit à ses rêves, Célestine laisse épanouir son talent. Quand Ferdinand part diriger la succursale d’une usine à Los Angeles, elle le suit et recommence son activité avec le même succès. Elle crée sa ligne de vêtements et devient Miss Belly. Mais le bonheur n’aura qu’un temps. À la disparition accidentelle de son compagnon dans un tremblement de terre, Célestine se réfugie auprès des siens. C’est là, après avoir officiellement divorcé de son premier mari, qu’elle entame une troisième vie, plus rangée… jusqu’à ce que l’amour repointe son vilain nez.

Pour approfondir

« Les trois vies de miss Belly », de Judith Rapet, nous projette au cœur de l’histoire en pleine mutation, hormis dans le domaine de l’égalité entre époux. L’auteure nous décrit avec simplicité et pudeur le calvaire et le courage de son aïeule qui parviendra à s’affranchir d’un mariage malheureux, grâce à son talent et sa détermination, à l’image de toutes ces femmes qui osaient braver les conventions pour expérimenter l’indépendance, et donc le divorce. Impensable, à cette époque ! Célestine Belly n’aurait peut-être jamais su qu’elle était de cette trempe de femmes modernes si son mariage n’avait viré à la catastrophe. Elle n’aspirait qu’à bien servir son époux et à coudre. Les coups et la maltraitance psychique auront été les ferments d’une révolte, laissant cois la famille et le village. Outre ce projecteur sociétal, ce roman brosse un portrait documenté et instructif de la France rurale à la fin du XIXe siècle, des métiers voués à disparaître – ou du moins à évoluer comme celui de charron, mais aussi de l’émigration aux États-Unis, pays symbolisé par la Statue de la Liberté (représentée par une femme éclairant le monde), qui cultive l’espérance en un monde meilleur et fait naître la nostalgie du pays natal. On assiste enfin à l’explosion démographique de Los Angeles, aux progrès techniques comme ceux présidant à l’essor de l’automobile et l’évolution de la mode féminine, imaginée par des avant-gardistes comme Célestine Belly qui souhaitait libérer les femmes de leurs carcans vestimentaires…, un prélude symbolique à la fin des carcans patriarcaux.

Nathalie Gendreau

Éditions De Borée, 18 juin 2020, 294 pages, à 19,90 euros en version papier et 9,99 euros en version numérique.

1 réflexion au sujet de « “Les trois vies de Miss Belly”, Judith Rapet »

  1. Les différents thèmes évoqués donnent envie de nous plonger dans ce roman et de découvrir non seulement l’intime de Célestine Belly (y compris sa 3ème vie!) mais aussi la France rurale du XIX siècle et les espoirs générés lorsque l’on découvre la Statue de la Liberté à New York, cadeau de la France. On sait mieux d’où on vient et c’est précieux aujourd’hui, dans notre monde qui semble ne plus savoir très bien où il va. L’étude psychologique sur l’évolution de la condition de la femme est également un thème capital qui devrait passionner lecteurs et lectrices.

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