“Les misophones”, Bruno Salomone

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Le bruit de ventouses gluantes produit par leurs muqueuses durant ce baiser provoqua en moi une montée de sang et de dégoût. Ça me faisait l’effet de deux déboucheurs à tuyauterie qui s’empoissent. Le frottement de la main velue de l’homme sur son jean m’horripila. En signe de satisfaction, elle lui sourit, caressa ses cheveux et lui remit une mèche en place, très maternelle. J’eus envie de me ruer vers ce type, de le scalper et de lui éplucher les lèvres avec un Économe de cuisine. (page 56)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

On connaît bien le jeu et l’humour de l’acteur Bruno Salomone, notamment dans la série télévisée « Fais pas ci, fais pas ça », mais un peu moins sa plume. Il eut été dommage de passer à côté. En publiant aux éditions Cherche Midi son premier roman « Les Misophones », Bruno Salomone reste fidèle à sa justesse et à sa drôlerie qu’il transpose à l’écrit. D’autant que son titre ne laisse pas sans intriguer. Qu’est-ce donc que ce néologisme médical dont 15 % des Français seraient atteints ? L’indisposition aux petits bruits du quotidien qui, dans la tête du misophone, peut prendre des proportions incontrôlables. Les bruits déclencheurs sont la mastication, les croustillements, les borborygmes, les toux, les reniflements… toutes ces musiques disharmonieuses du corps qui provoquent chez le misophone tout un éventail de réactions, du simple agacement à l’irascibilité violente. Et se raisonner ne sert à rien. Dans ce roman singulier à l’écriture alerte, l’auteur met en lumière une maladie non encore répertoriée, mais handicapante au point de vouloir devenir ermite… Quoique les bruits d’une nature, continuels, peuvent tout aussi bien taper sur les nerfs ! L’un des deux héros de Bruno Salomone en a fait les frais !

Damien, la cinquantaine solitaire, est misophone. Pour briser sa double solitude – dans sa vie et dans cette maladie –, il a pris l’habitude depuis cinq ans d’aller prendre un petit déjeuner dans son bar de prédilection. Là, du coin de l’œil, il suit les allées et venues d’Alexi, le serveur qu’il a répertorié comme un misophone au seuil de tolérance aux bruits très bas. Il est soulagé de ne pas être seul à porter le fardeau de cette affliction que personne ne comprend. L’incompréhension de l’entourage ajoute au sentiment d’isolement des malades. Étrangement, en regardant Alexi évoluer entre les tables, prêt à noter ses défaillances auditives, il en oublie ses propres intolérances. Ce bar est pour lui un répit et un observatoire instructif. Mais un jour, cette habitude se brise avec la pile d’assiettes que fait tomber le serveur, excédé par le bruit irritable produit par un client. Celui-ci en fut provisoirement éborgné. Peu après, Alexi est congédié. À partir de ce moment, Damien cherche à l’informer de ce dont il souffre et à s’en faire un ami. Cette amitié fondée sur une infortune commune poussera les deux malades à cohabiter – par la force des choses – et à s’entraider… pour se supporter. Ils essaieront tout pour comprendre et anéantir les déclencheurs de bruits jusqu’au clash.

Misophone, lui-même, Bruno Salomone sait de quoi il parle et il veut le faire savoir. Combien sont au fait de cette souffrance auditive ? Avait-on la moindre idée que ces petits bruits, sans répercussions pour certains, pouvaient être insupportables à d’autres au point de devenir misanthropes ? Ce premier roman a le mérite de porter l’attention sur l’enfer de cette maladie avec beaucoup de traits d’esprit et de légèreté. Tel un chevalier blanc défendant une cause noble, Bruno Salomone porte le sujet sur le registre de l’humour avec un vocabulaire lié aux sons précis et incroyablement varié. Grâce à son écriture très imagée, des métaphores sonores viennent s’entrechoquer dans l’esprit du lecteur qui, par symbiose, finit par entendre tous les petits bruits auxquels ils ne faisaient pas attention. Qu’ils en soient rassurés, c’est temporaire ! Au-delà de la maladie, qui aura le mérite d’apporter des réponses à des misophones qui s’ignorent et des explications aux proches de misophones, ce roman est très distrayant ; les deux personnages sont attendrissants, chacun à sa manière, et les situations surprenantes. Au fil de la lecture, on se demande bien comment les deux antihéros vont pouvoir se sortir de leur insupportable cohabitation ! Patience, la chute qui vaut le détour viendra bien assez tôt !

Nathalie Gendreau

 

Éditions Cherche Midi, 18 avril 2019, 272 pages, à 17 euros.

 

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