“Les exilés du Paradis”, Brigitte Adès

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Tout était lié à une nostalgie, à un sentiment de bonheur perdu. Des sensations ensevelies, celles qui avaient trait à la formation des sens, revenaient à lui. Ses incursions dans le poulailler pour gober un œuf et observer les poussins se regrouper en boule à son approche. Son amour pour Palang, le chien-loup qui ne se lassait pas de le suivre dans toutes ses promenades, alors qu’il s’arrêtait longtemps devant chaque buisson pour débusquer les insectes en écartant les feuilles. Il avait maintes fois revu la scène de leur départ. Il l’avait enjolivée pour mieux l’enfouir. Cette fois-ci, elle lui apparaissait dans toute sa noirceur. Une famille de plus, déplacée pour toujours, en un siècle où tant d’autres l’avaient été avant elle. Le siècle le plus meurtrier de l’Histoire. Cette réalité l’avait convaincu de taire ses souffrances. N’avaient-ils pas été privilégiés d’avoir pu anticiper leur départ ? Sa mère avait pu retrouver une carrière et refaire sa vie.
Mais cette construction mentale aujourd’hui s’écroulait, car ces souffrances, enfin assumées, révélaient la précarité psychologique qui avait suivi l’exil.

(page 40/41)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Les exilés du Paradis” est un récit à mi-chemin entre le document et le roman, qui jette des passerelles entre l’Orient et l’Occident, entre l’islamisme éclairé et le fanatisme religieux. L’auteure Brigitte Adès est journaliste, spécialisée dans la politique internationale. C’est dire si elle maîtrise son sujet qu’elle vulgarise au travers d’une histoire inspirée de la réalité politique. Son intention se révèle au fil des pages : faire savoir l’envers du décor, au-delà de la perception fragmentaire ou monolithique que l’on peut avoir sur l’exil, l’intégration, l’islamisme, le fanatisme. En cela, Brigitte Adès réussit à informer tout en sollicitant l’implication émotionnelle du lecteur. Alors, forcément, on s’attache aux personnages, on veut en savoir plus, mais le ton didactique du récit l’éloigne des rivages du romanesque pour le rapprocher du reportage informatif.

De retour des États-Unis, le diplôme en poche, Farhad revient en France avec cette sensation douloureuse de ne se sentir nulle part à sa place. Il s’interroge sur ses racines, laissées en Iran après l’instauration de la République islamique. Après 18 ans d’exil, Farhad repart dans le fief des Safandar, près d’Ispahan, sur les traces de la maison de son enfance à la recherche de son histoire. Il y découvre dans une crypte cachée les Mémoires d’un lointain ancêtre, Nader l’ancien, qu’il lira avec avidité et qui sera le socle de ses réflexions sur une version modernisée de l’Islam. Puis, son enquête le mène en Angleterre, où il retrouve son ami d’enfance Réza qui travaille pour une fondation suspectée de financer des mouvements intégristes. Alors, tout en essayant de le sauver d’une mort certaine, il cherche à comprendre comment de jeunes musulmans se laissent embrigader par le discours de l’Islam radical.

Ce roman décrit le déracinement des exilés qui en souffrent. À l’évidence, l’intégration heureuse dans un pays étranger s’avère ardue, même bardé de diplômes. Et ce sentiment d’exclusion fait le terreau des islamistes fondamentalistes. Mais l’éducation est une arme formidable contre l’intégrisme, même si la tâche est gigantesque. Farhad le démontre avec les lectures modernes du Coran qu’il organise avec ses étudiants qui, souvent, n’en connaissent les préceptes qu’à travers l’interprétation de l’Imam. “Les exilés du paradis” est un roman puissant qui révèle la source de cette opposition entre deux visions de l’Islam et qui décrypte avec clarté les mécanismes de cet affrontement. Il manque cependant la dimension romanesque pour adhérer totalement au récit qui joue sur la fibre du mystérieux sans en donner le frisson. Ce qui n’enlève en rien l’intérêt de cet ouvrage qui ouvre des fenêtres de compréhension sur un monde erratique, lui-même exilé de son “Paradis”, “pairidaeza” selon ses racines perses, comme l’auteure le précise, c’est-à-dire “jardin”.

 

Éditions Portaparole, juin 2017, 230 pages, 18 euros.

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1 réflexion au sujet de « “Les exilés du Paradis”, Brigitte Adès »

  1. Merci pour cette nouvelle fleur cueillie dans le jardin de Presta Plume qui aborde cette fois un thème d’actualité qui est souvent présent dans les conversations, mais à voix feutrée…

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