“Les crapauds fous”, la justesse de l’émotion, la force d’évocation

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Après son succès au Ciné XIII, la comédie d’aventure Les crapauds fous se joue au Théâtre des Béliers parisiens. Servie par un texte qui allie la force d’évocation à celle de l’émotion juste, cette pièce est née de l’idée formidable de l’auteure et metteure en scène Mélody Mourey de restituer une histoire vraie et extraordinaire, jamais encore évoquée au théâtre. Celle de deux médecins polonais, Eugène Lazowski et Stanislaw Matulewicz, qui ont sauvé 8 000 Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, en faisant croire à une épidémie de typhus, un virus hautement contagieux. La mise en scène imbrique deux époques (1942-45 et 1990) et les fait interagir avec une vivacité étourdissante. Cette astuce captive l’intérêt tout en mettant en relief de façon exemplaire le courage de ces deux “crapauds fous” qui ont osé dire “non”. Aujourd’hui, on les nommerait les “Insoumis”, comme le rappelle la pièce qui ne manque pas de distiller une bonne dose d’humour. Ces clins d’œil à l’actualité sont autant de bulles d’air qui autorisent le spectateur en apnée du suspense à respirer… et à rire de bon cœur !

En 1990, Anastazy, étudiante en psychologie et petite-fille d’Eugène, l’un des deux médecins héroïques, cherche à comprendre comment une minorité d’individus, 3 % selon l’expérience de psychologie de Milgram sur la soumission consentie, parvient à refuser l’obéissance aveugle alors que 97 % en sont incapables. Aussi, elle souhaite connaître l’histoire de son grand-père qui a résisté à l’autorité nazie et dont il n’a jamais fait état. Elle fait appel à Stanislaw, médecin à la retraite et le meilleur ami de son grand-père, qui lui raconte cette aventure démentielle et dangereuse, à sa manière, avec la simplicité de ceux qui estiment n’avoir fait que leur devoir. Sa narration commentée tantôt avec gravité, tantôt avec légèreté, nous ramène en 1940 dans la ville de Rozwadów, en Pologne. Désirant épargner à l’un de ses amis les camps de travail, Stanislaw imagine de lui inoculer des bactéries mortes responsables du typhus. Cette injection suffit à rendre le test positif. Sans rien en dire à sa femme, Eugène reprendra cet audacieux stratagème pour éviter aux Juifs menacés de se faire massacrer ou d’être déportés. Même lorsque les soldats allemands, soupçonneux, viennent vérifier la réalité de la pandémie, et donc de la quarantaine, les deux médecins tiennent bon en brandissant le spectre de la contagion. Mais tiendront-ils jusqu’à la fin de la guerre ? Leur manigance est si fragile qu’une indiscrétion ou une malveillance pourrait tout faire écrouler !

De ces deux jeunes médecins polonais généreux et courageux, Eugène Lazowski et Stanislaw Matulewicz, l’histoire retiendra cette audacieuse supercherie. À l’instar de la liste de Schindler, ce sauvetage méritait d’être retracé à travers une fiction. Mélody Mourey a choisi de la porter à notre connaissance sur la scène théâtrale, lieu de prédilection pour transfuser à une aventure du passé toute la vigueur de l’instant fragile du direct, et ainsi créer une communion avec les spectateurs. L’auteure y réussit merveilleusement bien. Dès la première minute, le narrateur Stanislaw, alors retraité, (Frédéric Imberty) accroche l’intérêt par sa distinction vocale et sa présence bonhomme, de celle qui rassure et réconforte. Charlie Fargialla (Eugène Lazowski) et Gaël Cottat (Stanislaw Matulewicz jeune) jouent deux caractères opposés, le premier plus intrépide et fougueux que le second qui soupèse les actions à l’aune de ses angoisses. Si les colères sont tonitruantes, les réconciliations le sont tout autant. Cette différence pour appréhender les situations provoque un dialogue enlevé, vif et tournoyant à l’image des vies suspendues entre la dénonciation et la mort. La tension habille chacun des personnages, et plus particulièrement Damien Jouillerot qui campe tour à tour un idiot du village attendrissant et un Hitler aussi glaçant que drolatique qui n’est pas sans rappeler le Hitler de Jacques Villeret (dans Papy fait de la résistance). Les neuf comédiens de la troupe interprètent plus de vingt personnages à un rythme renversant. C’est une valse de costumes et d’interprétations, qui en trois temps quatre mouvements, font coulisser les décors et bruisser le temps entre les souvenirs et les actions. La mise en scène habile de Mélody Mourey et la scénographie inventive de Hélie Chomiac permettent ces tours de passe-passe temporel et spatial. Les années s’enchaînent et c’est la vérité qui se libère du silence. Le silence d’un acte exceptionnel qui s’est répété le temps des atrocités, un silence retentissant qui est restitué avec intelligence et une grande sensibilité.

Nathalie Gendreau

©Photos Svend andersen


Distribution

Avec : Benjamin Arba, Merryl Beaudonnet, Constance Carrelet, Hélie Chomiac, Gaël Cottat, Rémi Couturier, Charlie Fargialla, Tadrina Hocking, Frédéric Imberty, Damien Jouillerot, Blaise Le Boulanger, Claire-Lise Lecerf, Christian Pellissier.

Créateurs

Auteur et metteur en scène : Mélody Mourey 

Scénographie : Hélie Chomiac
Chorégraphie : Reda Bendahou
Musique : Simon Meuret

Du mardi au samedi à 21 heures et dimanche à 15 heures, jusqu’au mois d’octobre 2018.

Au Théâtre des Béliers parisiens, 14 bis rue Sainte-Isause, Paris 75018.

Durée : 1h35.

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