“Les bonnes mœurs”, Timothée Gaget

Temps de lecture : 2 min

 

EXTRAIT

“La route et le ciel gris étaient monotones et tristes comme une chanson de Sébastien Tellier. Je roulais seul vers cette mission inintéressante, ces gens inintéressants, cette entreprise inintéressante. Aucun relief, des arbres à gauche, des arbres à droite : la Sologne n’est qu’une immense forêt oppressante  et sombre. J’avais été un banquier d’affaires prometteur, j’avais fait l’amour des jours entiers avec une violoncelliste, j’avais séduit une Valkyrie, trois semaines auparavant j’écumais encore les boîtes de Saint-Tropez… et je finissais à Romorantin ! Je riais tout seul de mon déclin.”

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

 

Les bonnes mœurs” de Timothée Gaget est un premier roman astucieusement ficelé, qui dévide sa pelote avec l’éloquence de l’avocat que l’auteur fut, avant de l’employer dans une agence de communication. “Les bonnes mœurs” opposent deux mondes  : la gauche technocratique face à la droite rurale, catholique et conservatrice. C’est aussi une rencontre humaine puissante et silencieuse  : Tristan et Bon-papa, son grand-père. Le banquier d’affaires parisien, narrateur antihéros, grille sa vie, courant de soirées en partouzes, sniffant des rails de coke et sifflant des cocktails explosifs. Le comte de Barmonne est un taciturne Solognot, ruminant la folie du monde, acariâtre endurci, chasseur et garant des traditions.

C’est une mission à Romorantin de plusieurs mois qui va susciter des retrouvailles non réellement désirées. Tristan s’installe donc à Valbrun, propriété isolée, humide et suintante de tristesse du Loir-et-Cher. Au fil des semaines, les deux hommes apprennent à se supporter. Les soirées d’hiver sont longues, mélancoliques, propres à noyer dans l’alcool un chagrin sans fond. Tristan renoue avec sa parentèle, catho et à la vie insipide, et surtout avec sa cousine qui l’émoustille. C’est alors qu’un ancien ami et voisin, un Géo Trouvetout excentrique et anglais, vient pimenter sa morne retraite de ses frasques divertissantes. Bientôt, le jeune homme dépravé est pris par la magie de la Sologne et des promenades en forêt, s’initie à la chasse avec son grand-père comme maître intraitable et se surprend à accompagner ce dernier des Mohicans dans une vaine bataille contre l’absurde expropriation de son bois.

Timothée Gaget a l’écriture joyeuse, vivifiante, décomplexée, crue et toujours percutante. Elle fouette les esprits, file au grand galop, saute les obstacles avec adresse, évitant de verser dans les ornières de la vulgarité. À Paris ou à Valbrun, l’intensité du récit est la même. Cette course effrénée de 400 pages caricature le monde de la finance avec cynisme, dépeint avec grand art et maîtrise les parties de chasse qui sentent le chien crotté et la chair fumante du gibier. Il perce ici un lyrisme érotique inattendu des scènes d’orgie et là une poésie bucolique solognote.

Un bon premier roman, massif et léger, politiquement et délicieusement incorrect, qui étonne par la verve et le ton résolument impertinent, où s’entrechoquent sexe, fric et politique, et où s’entremêlent questions de société et rancœurs familiales. Le caractère des personnages s’y épanouit à l’extrême et avec sensibilité. Un roman qui esquisse deux chemins opposés qui vont se rejoindre, deux mondes qui vont s’imprégner l’un de l’autre, deux êtres malheureux qui vont s’apprivoiser. Tristan finira-t-il par s’assagir ? Là, c’est une autre histoire !

Éditions Intervalles, mars 2016, 400 pages, 19,90 €.

 

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