“Les Amants de la Rivière-Rouge”, Marie-France Desmaray

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Terminus ! Gare de Saint-Claude. Un employé de la Canadian Pacific les libéra de leurs bagages. Seuls quelques marchands et représentants en provenance de Winnipeg descendirent du train en même temps qu’elles.

La locomotive repartit, les enveloppant au passage d’un nuage optique et étouffant de vapeur. Elles se retrouvèrent désorientées, sur le quai quasiment vide. Saisie par le froid glacial, Louise referma son manteau tout en dévisageant son amie

– Si tu te voyais, avec la ta figure recouverte de suie !

– Oh ! Mais tu n’es pas mieux, grommela Juliette en époussetant sa robe et prise de frissons elle aussi.” (page 197.)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

 

La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Cette expression vaut pour ce premier roman de 638 pages qui relie le Vieux Continent au Nouveau Monde, peu après la Grande Guerre. Paru aux éditions Presse de la Cité, « Les Amants de la Rivière-Rouge » est une saga romantique inspirée qui montre combien Marie-France Desmaray aime sa région (la Vendée) et les traditions culinaires. L’auteure rend hommage à ces pionnières courageuses au cœur conquérant de Vendée et des Charentes qui ont tout lâché pour s’exiler dans des contrées inhospitalières du Québec, endurant les pires difficultés financières et souffrances psychologiques pour s’acclimater et construire un nouveau foyer digne de ce nom. Le tabou de l’inceste, des secrets de familles, des épreuves, des bons sentiments, des femmes de caractère avec une foi indestructible dans leur destin. Ce sont quelques-uns des ingrédients que l’auteure, mais aussi l’animatrice de cours de cuisine, a utilisés pour concocter une recette de son cru narratif, aux saveurs du terroir français et du Manitoba, province située à l’ouest de Québec. Cette fiction très documentée pourrait être un récit de vie, tant il s’ancre dans la terre et le quotidien de ces petites gens qui quittaient leur misère pour, souvent, en retrouver une autre ailleurs. Dépaysement assuré !

À quinze ans, Jeanne quitte la ferme de Vendée dans laquelle elle a grandi. Elle fuit l’amour abusif paternel, le silence coupable maternel et l’incompréhension bourrue du frère. Jeanne est enceinte, seule, sans ressource, mais volontaire. Elle s’accroche à cette vie en elle et à l’espoir d’un meilleur ailleurs. Cet ailleurs sera Saint-Simon, un village de gabariers, où elle sera recueillie par un couple de Vendéens établis en Charente. Elle trouvera bienveillance et empathie chez ses nouveaux patrons. Dans ce foyer chaleureux inespéré, elle élèvera sa fille Rose et prendra confiance en elle et ses talents culinaires. Sa réputation de cordon bleue sera faite. Si l’étiquette de fille-mère lui reste collée au dos, elle trouvera en Juliette une amie véritable, espiègle et lumineuse. À Saint-Simon, Louise rencontrera l’amour en la personne de Marius et la promesse d’un mariage, qui coulera pourtant à pic avec la gabare et son cher gabarier. Entraînée par Juliette, Louise fuit encore, pour oublier son amour mort : destination Québec. Commence alors une nouvelle aventure, folle et insensée, où il leur faudra beaucoup de vaillance et de foi pour croire en leur bonne décision… jusqu’à ce que le passé remonte le courant du fleuve Charente pour se jeter dans la Rivière rouge.

« Les Amants de la Rivière-Rouge » est un roman à l’écriture simple, descriptive et imagée, qui fait voyager dans le temps et l’espace. On y trouve de l’aventure, des rebondissements heureux et tragiques, des destins brisés et du courage au féminin. Bâti autour du drame d’un tabou, le fil narratif est tiré, doucement, sans à-coups, suivant le cours dolent d’un fleuve nommé Charente. L’inceste et toutes ses conséquences psychologiques émergent, çà et là, du récit avec pudeur et sensibilité. Il n’occupe pas tout l’espace, mais apparaît en surimpression dans chacune des réactions de Louise, dans sa volonté de s’en sortir et de pardonner, dans son désir de liberté et de libre arbitre. On s’attache facilement au destin de cette femme dont l’âme reste liée à ce père indigne et à cette mère muette, et surtout à son enfance malgré tout heureuse. Le bocage de Vendée est son ancrage émotionnel qui l’aide à surmonter les épreuves et à dépasser ses peurs. En osant l’aventure, le chemin de Louise prendra la teinte de la maturité, annonciatrice d’un bonheur qui commence par soi pour s’ouvrir enfin aux autres. En toute confiance.

Nathalie Gendreau

 

Editions Presses de la Cité, Collection Terres de France, 24 janvier 2019, 640 pages, à 21,90 euros.

 

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