“L’Empereur des Boulevards” : Entre maître et sujet de vaudeville

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥

Critique éclair

Georges Feydeau est un nom qui résonne aussi fort que les rires qu’il provoque. « Tailleur pour Dames » est la pièce qui le porte aux nues au théâtre de la Renaissance en 1886 et le place sur la plus haute marche du rire, un art non respectable selon sa mère, Léocadie Boguslawa Zalewska… une femme « galante » dans sa jeunesse  ! Jouer avec des histoires sordides de cocufiage et de tromperie est le créneau dans lequel il se complaît. Mais qui est vraiment ce farceur au patronyme si respectable ? Son père, Ernest, n’était-il pas un écrivain réputé ? Où peut-il bien puiser son inspiration, semble-t-il inépuisable ? C’est tout l’objet de la dernière création de la « Compagnie des Joyeux de la Couronne », un « biopic » musical écrit par Olivier Schmidt  : « L’Empereur des Boulevards », au Théâtre Montmartre Galabru. À travers 26 personnages, l’auteur et comédien met en scène la vie du vaudevilliste depuis ses débuts passionnés jusqu’à sa lente déchéance, rongé par la syphilis transmise par un ange de la nuit. Grâce à sept comédiens talentueux et vitaminés, le Paris festif s’étale sur scène en plusieurs actes, des tranches de vie où s’enchaînent les échecs et les succès du maître des Boulevards, mais aussi sa vie intime qui le transforme en sujet obéissant et vaincu par ses démons, dont le plus prégnant est sans conteste le besoin de reconnaissance. Si l’œuvre de Feydeau taille la part belle à cette pièce, sa vie personnelle et son esprit l’habitent de pied en cap.

Résumé

Après des tentatives vaines pour devenir acteur, Georges Feydeau écrit des pièces de théâtre. Non pas des tragédies, mais des comédies de mœurs où il y a toujours un beau cocu dans l’affaire qui est le dernier à le savoir. Comme de bien entendu ! Il est jeune, brillant, infatigable et obstiné. Il s’appuie sur les relations de son beau-père pour lui ouvrir la porte de certains cercles qu’il est de bon ton de côtoyer si l’on veut en être. Georges Feydeau se marie par amour, puis devient père, mais le triomphe de « Tailleur pour dames » et les échecs suivants le poussent à essayer tous les expédients pour trouver l’inspiration. Il sera de toutes les sorties, les soirées chez Maxim’s, le jeu et la drogue. Il puise dans les salons et les bordels son inspiration dans « la médiocrité des existences bourgeoises » qu’il détourne pour en faire des farces vaudevillesques. Il s’inspire également de sa propre vie qui est un lamentable échec par sa faute et de ses tiraillements entre sa vie bourgeoise et sa vie de noctambule. D’un côté il est prisonnier de son besoin de rester le maître du genre. De l’autre, il est aspiré par le tourbillon des folles nuits, jusqu’à ce qu’il commette avec un « ange de la nuit » un acte irréparable où aucun retour en arrière n’est possible. Il a joué et devra payer comptant, en monnaie de souffrance, jusqu’à sa mort en 1921.

Pour approfondir

« L’Empereur des Boulevards » est une création originale de la « Compagnie des Joyeux de la Couronne » nommée aux P’tits Molières 2020, qui nous donne à connaître les coulisses d’un écrivain de théâtre et ses démons dont il ne parviendra pas à se défaire. Hormis Alexis de Chasteigner (qui ce soir-là a pour la première fois tenu le rôle de Feydeau), les six autres comédiens passent d’un personnage à l’autre avec rapidité et efficacité. L’allure déliée et le port élégant, l’Empereur des Boulevards gagne en assurance. Est-ce le personnage ou le comédien qui emporte sur l’autre ? Peu importe, le mariage est convaincant et donne à ressentir la complexité du personnage torturé, malheureux, malade d’une insatisfaction chronique. Sarah Bernhard (Séverine Wolff) et Sacha Guitry (Olivier Schmidt) sont d’une grande sobriété et tellement touchants. Hetty, cet ange noir déguisé en femme par qui le malheur se concrétise est campé par Thibaut Marion. Un mélange de force et de fragilité d’où émane une fascinante sensualité. On prendrait presque sous notre aile protectrice ce pestiféré de la nuit, qui fut pourtant la conquête de trop pour le maître du vaudeville. Alexandra Magin est entre autres Marie-Anne, la femme de Georges Feydeau, déchirante lorsqu’elle tente de le ramener à la raison et à la maison. Les deux comédiennes sont étonnantes dans leurs rôles de composition où elles font le grand écart entre une femme du monde et une danseuse à la jambe leste. Par leurs personnages multiples, Lucas Lecointe et Kevin Maille donnent à la pièce cette nécessaire cohérence qui apporte souffle et rythme, à l’image de cette époque tourbillonnante.

Ainsi, la folle vie de Paris du siècle dernier et les personnages illustres qui ont fait ses belles heures se réveillent sous l’écriture alerte et entraînante d’Olivier Schmidt. Quelle joie de retrouver autour de Feydeau des êtres aussi talentueux que Carolus-Duran, Eugène Labiche, Sarah Bernhard, Sacha Guitry, Yvonne Printemps, Raimu, etc., qui sont tous ses amis et s’inquiètent de ce qu’il devient ! Derrière les frous-frous et le french cancan, les nuits de débauches dans des bras câlins ou virils où Feydeau s’entête à chercher l’inspiration, il y a la « vraie » vie, celle d’une épouse aimante qui tente de sauver son mariage en le sauvant de lui-même. Elle échouera et divorcera. La vie du comique vire alors au drame. Il pourrait être lui-même le sujet d’une de ses pièces. Il est arrivé à un point où le maître se confond avec son sujet, une fusion dont le mélange fait des étincelles et pousse sur la pente douce de la folie. Après ce biopic, aussi enjoué qu’émouvant, aussi divertissant qu’instructif, on ne verra plus Feydeau sans avoir une pensée émue pour cet être du clair-obscur à la recherche de la lumière, une reconnaissance perdue  : celle d’une mère qui fut son premier détracteur et qui ne vit jamais en lui qu’un « faiseur de divertissements ».

Nathalie Gendreau
©TMG


Distribution
Avec :  Julien Hammer ou Alexis de Chasteigner, Alexandra Magin ou Chloé Groussard, Séverine Wolff, Olivier Schmidt ou Thibault Marion, Julien Antonini ou Lucas Lecointe, Léonard Courbier ou Fabien Roux ou Matthias Léonard Lang, Kévin Maille

Créateurs
Auteur,
Metteur en scène et scénographie : Olivier Schmidt
Direction Musicale : Justine Verdier
Chorégraphies : Séverine Wolff

 

Le vendredi à 21 h 30 et le dimanche à 18 heures jusqu’au 20 décembre.
Relâche du 20 au 29 novembre 2020.

Au Théâtre Montmartre Galabru, 34 rue de l’Armée d’Orient, Paris XVIIIe.

Durée : 1 h 20

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