“Le retour”, le triomphe de l’absurde réaliste

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Maître de l’absurde, Harold Pinter n’en est pas moins le révélateur d’un réalisme cru, lui-même souvent absurde. La cruauté, la perversité, la violence ne recèle-t-elle pas toute la vacuité humaine traversant les âges avec la même force, la même aberration, la même inutilité ? C’est toute la démonstration de la pièce « Le retour » qui décortique les liens familiaux et les comportements d’une famille désaxée composée d’un père, de ses deux fils adultes, de son frère vieux garçon, et enfin d’un fils prodigue et de son épouse. Sur la scène du Théâtre de l’Opprimé, Cantor Bourdeaux, Jean-Rémi Chaize, Théo Costa-Marini, Jérôme Fauvel, Maud Roulet et Charles-Antoine Sanchez martèlent avec la précision d’un métronome le texte tranchant de l’auteur. L’élocution bat la mesure de notes noires, point de respiration ni de pause, mais une partition énigmatique, hypnotisante, une musique des sentiments qui pousse l’effroi des situations jusqu’au comique. Avec conviction, les phrases épurées sont scandées, marchent à petits pas trottés d’une aiguille infatigable, un tic-tac qui annonce l’inéluctable jusqu’au fracas final et surprenant. Incompréhensible et absurde en surface. Et pourtant, que d’âme, de force et de justice en profondeur ! Les comédiens donnent à ressentir la tension, créent une atmosphère étrangement irréelle par leur jeu en rupture de rythme. Leur présence est entêtante, tels les effluves des cigares que les personnages se partagent, comme pour consacrer ce moment de paix intense, de communion sereine, le calme avant l’explosion des sentiments.

La pièce du drame familial est un salon au charme fruste d’une demeure anglaise, où seuls le thé et le whisky font bon ménage. Cinq sièges pour six personnages, comme pour signifier qu’une personne sera de trop ! Celui de Max (Jean-Rémi Chaize), le vieux père aigri au verbe mordant, est un confortable fauteuil élimé à force de rêves et de pleurs enterrés. Ce trône patriarcal est convoité par les deux fils. Lenny (Charles-Antoine Sanchez) un proxénète cynique et brutal, se piquant de questions philosophiques, et Joey (Théo Costa-Marini), un taiseux mal dégrossi qui rêve le soir de gloire sur un ring de boxe et trime la journée à démolir la pierre à défaut de portraits. L’oncle Sam (Cantor Bourdeaux) est chauffeur de maître et arbore des manières de lord, encaissant stoïquement les insultes venimeuses de son frère. Chacun a son rôle à jouer dans la maisonnée et occupe une place dans le foyer où couve sous la rancœur une forme d’amour tantôt mal attisé, tantôt mal circonscrit. Mais quand le fils prodigue Teddy (Jérôme Fauvel), devenu un docteur en philosophie, revient pour une simple visite au bout de six années d’absence pour présenter son épouse Ruth (Maud Roulet), c’est la place de chacun qui est remise en cause. Les rivalités se réveillent et le passé perfore les masques de douleurs.

Voilà bien longtemps qu’aucune femme n’avait foulé le sol de cette modeste maison qui retentit d’insultes grossières, de silences pesants, d’invectives méprisantes. Le principe féminin plane pourtant au-dessus de cette chaumière sulfureuse sous la forme évanescente du fantôme de Jessie qui aura été la femme adorée, la belle-sœur admirée et la mère aimée. La gardienne de ses hommes et la garante d’une cohésion familiale, même précaire. Alors quand le troisième fils revient au bras de sa femme, c’est l’instinct primitif qui se déchaîne au mépris de toute retenue. Bien que livrée en pâture, la jeune femme mollement défendue par son mari timoré se dévoile en dresseuse de fauves en rut faisant montre d’adresse, de fermeté et de séduction toute maîtrisée. Une bombe à retardement dans cette époque des années soixante où la femme est soit un objet domestique, soit un objet sexuel. Le retour d’un fils qui abandonne sa femme entre les griffes de sa famille n’était qu’une visite aux couleurs de l’offrande. Mais une offrande personnifiée qui accepte les termes de sa nouvelle vie comme un contrat déterminé. Le retour ne serait-il pas, finalement, celui de Ruth qui se réapproprie la jouissance de son être ? Un être revendiquant la liberté de choisir et de gouverner son destin, même au prix de l’abandon de ses trois enfants.

Nathalie Gendreau

Crédit photos ©Pierre Langlois


Distribution

Avec : Cantor Bourdeaux, Jean-Rémi Chaize, Théo Costa-Marini, Jérôme Fauvel, Maud Roulet et Charles-Antoine Sanchez.

Créateurs

Auteur : Harold Pinter
Collaboration artistique : Claude Leprêtre et Lou Martin-Fernet
Créateur Lumière : Pierre Langlois
Costumière : Floriane Gaudin

20h30 : les mercredis 21, vendredi 23 et samedi 24 mars 
21h30 : le jeudi 22 mars
17h00 : le dimanche 25 mars

Au Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais 75012 Paris.

Durée : 1h40.

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