“Le père Denoël est-il une ordure ?”, Gordon Zola

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

En réalité, le point commun entre Denoël et Céline, c’est qu’ils ont la vertu piquante d’une épine… L’une est plantée dans le pied de Gallimard, l’autre dans le cul de la littérature ! De la belle épine, bien longue et douloureuse… L’une s’arrachera sans trop de conséquences, l’autre se cassera dans la plaie pour empoisonner à jamais le beau corps des lettres françaises… Septicémie mortelle ! Personne ne s’en relèvera” (page 108)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Comment résister à un ovni littéraire, qui vient d’être réédité aux éditions du Léopard masqué ? Sous prétexte d’en rire, Le père Denoël est-il une ordure ? est une affaire on ne peut plus sérieuse. L’auteur Gordon Zola relate, documents à l’appui, le mystérieux assassinat, à ce jour non encore élucidé, de l’éditeur Robert Denoël. C’est que le père Denoël s’est compromis en collaborant. Pire ! La Commission consultative d’épuration de l’édition, constituée d’auteurs se clamant irréprochables, le condamne pour avoir notamment publié Louis-Ferdinand Céline. Mais l’éditeur prépare sa défense : il a consigné dans son carnet noir des éléments impliquant des confrères. Seulement, le 2 décembre 1945, il range sa voiture boulevard des Invalides à la suite d’une crevaison, sort le cric et la manivelle, envoie sa maîtresse Jeanne Loviton chercher un taxi et est abattu d’une balle dans le dos. À défaut de témoins directs, l’enquête conclut à une agression pour vol qui aura mal tourné. La ficelle est grosse, la veuve se tue à le clamer… et peut-être aussi Maître Lucien Bonplaisir, avocat de l’édition et ardent défenseur des femmes tondues et de belles éplorées.

Un an après l’assassinat de Robert Denoël, l’enquête est au point mort. Malgré les actions de sa veuve, le dossier est clos. L’inspecteur Ducourthial a conclu à un rôdeur, malgré de nombreuses aberrations, et ne veut pas en démordre. Pourtant, la captation de l’héritage par la maîtresse Jeanne Loviton, spoliant veuve et orphelin, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille ou du moins lui dessiller les yeux ! Non, il préfère s’intéresser au Raseur de Mûres, un assassin d’un autre genre qui sculpte des croix gammées sur des femmes d’un âge certain, dont la rumeur accuse d’avoir fauté avec l’ennemi, avant de les taillader jusqu’à mort s’ensuive. À cette époque-là, Maître Lucien Bonplaisir, tout en traitant les affaires de ses clients auteurs et éditeurs, a fondé une association “SOS Femmes tondues”, pour apporter une assistance morale à ces femmes rasées de près et souvent de trop près. Cet équilibre précaire en des temps tout aussi précaires est menacé avec la survenue d’une affriolante jeune femme, à l’appétit sexuel démesuré et imprudent. Elle se sent en danger, elle était la dernière maîtresse de Denoël et aurait en sa possession le fameux carnet noir. Cet aveu sera le point de départ pour l’avocat à une enquête mouvementée, explosive et sanguinolente.

Un policier dans la pure tradition, agrémenté d’un humour filé de bout en bout sur le thème capillaire. Contrepèteries et jeux de mots à n’en plus finir, Gordon Zola ne retient pas son imagination fertile. Nul besoin de couper les cheveux en quatre, il torture les termes et leur sens, les détournent, les illusionnent, les parent d’une autre fonction, les tressent entre eux pour en faire des mots-valises détonants. Car tout explose : la dynamite est à la fois dans les dessous de cette histoire d’assassinat non élucidée et dans sa narration. C’est un joyeux feu d’artifice pour l’intérêt du lecteur. Ce roman remet au jour un sordide fait divers dans les temps troubles de l’épuration en s’appuyant sur une recherche documentaire incontestable, avec les comptes rendus de police relatant les témoignages et les articles de journaux de l’époque. L’auteur Gordon Zola, sous couvert d’un humour excessivement ravageur qui ne lésine pas sur la gaudriole, pointe les failles de l’enquête, les incohérences, les pistes à creuser, dénonçant au passage le veto qui rend inaccessible certaines archives. Si son personnage parvient à élucider l’énigme, la question demeure : qui a tué Robert Denoël ?

Nathalie Gendreau

 

Éditions du Léopard Masqué, réédition 2018, 240 pages, à 18 euros.

 

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