“Le ministre de passage”, Jean-Louis Leconte

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Humilié, Arthur tourna la tête vers Dacier qui le dominait de toute sa hauteur. Le ministre, qui ne mesurait guère plus d’1 m 70, avait maintenant la taille d’un géant ricaneur avec deux rangées de dents éblouissantes. Dépassant de son crâne chauve, ses oreilles avaient pris des proportions diaboliques. Épouvanté, Arthur se releva, mais lui qui d’ordinaire mesurait dix bons centimètres de plus que le ministre se retrouva face à un mur de laine : une jambe de pantalon ! Et au fur et à mesure que le ministre grandissait, son ricanement s’amplifiait jusqu’à l’insoutenable.” (page 155)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

 

Pour son premier roman Le ministre de passage, le réalisateur de films Jean-Louis Leconte entrouvre les portes de l’univers politique avec assez d’ingéniosité pour que s’y faufilent curiosité et envie. Il guide le lecteur intrigué pas à pas dans un milieu jonché de chausse-trapes qui exacerbent le mal-être au point de pousser deux hommes égarés dans leurs derniers retranchements : eux-mêmes. L’un s’appelle Tobias Herschel, un quinquagénaire mal marié et ministre de l’Économie et des Finances qui se suicide médiatiquement par des déclarations hors cadre lors d’une émission de télévision ; l’autre est Arthur Blanchot, un analyste financier de Bercy aux névroses très prononcées qui conchie ses supérieurs qu’il juge incompétents et qu’il fantasme de remplacer. Ces deux vies parallèles sont recoupées par une vie transversale qui les influence. C’est celle de Dacier. Il sera le successeur éclair de l’un et le catalyseur de la haine de l’autre. Ce récit choral à deux voix relate sous la forme d’un thriller psychologique l’itinéraire de ses deux personnalités ébranlées, dont la trajectoire va se retrouver brutalement et définitivement déviée.

Juillet 2020, à Paris. Le ministre de l’Économie et des Finances Tobias Herschel craque en pleine interview. Face à Caroline, une journaliste pugnace et incisive, qui a été sa grande passion il y a vingt-cinq ans, il confie son impuissance et ses désillusions en politique économique et regrette de ne pas s’être orienté vers le théâtre. Dès le lendemain, les ennuis affluent : rupture, divorce, déménagement et peut-être même une nouvelle paternité. Et si Frédérique, la fille de Caroline, était aussi la sienne ? Pendant ce temps, un autre funeste destin est en marche. L’analyste financier Arthur Blanchot est un célibataire introverti, atteint de bouffées paranoïaques. Il puise l’extase dans les chiffres qu’il tord à sa guise, leur faisant dire tout et surtout n’importe quoi. C’est son rapport sur les morts sur la route qui a précipité la chute du ministre Tobias Herschel. C’est un autre rapport, confidentiel celui-là, sur la possibilité de rendre le vote obligatoire, qui va accélérer le trépas du successeur Dacier. En serial killer de circonstance, le maladroit analyste est un expert !

À l’heure où de plus en plus de responsables politiques parlent sans précaution ni filtre dans les médias ou en public, ce récit projeté dans un futur proche sonne comme un docu-fiction très actuel qui le rehausse d’une saveur authentique aigre-douce. Un ressenti qui confère de l’épaisseur aux deux personnages qui se débattent dans une tourmente introspective intense. Plus qu’un thriller politique, Le ministre de passage de Jean-Louis Leconte sonde les conséquences ravageuses d’une prise de conscience soudaine du sentiment de vacuité de sa propre existence et du regard de l’autre sur soi. En faisant avancer ces deux personnages de concert jusqu’au bout d’eux-mêmes, Jean-Louis Leconte ménage le suspense et captive l’intérêt jusqu’au dénouement de ces coming out introspectifs que le lecteur anticipe en happy end. Mais c’est sans compter ce réalisme d’une implacable fatalité qui pousse le lecteur à s’interroger sur sa place dans la société.

Nathalie Gendreau

 

Editions Michel de Maule, 10 janvier 2018, 220 pages, à 20 euros.

 

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