“Le ballet des retardataires – Tokyo, tambours et tremblements”, Maïa Aboueleze

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 25)
Je tape, je tape. Je respire, me concentre sur la peau du tambour. Mes yeux se rétrécissent. J’ai envie de pleurer. Quatre minutes. Je croise un nouveau regard du bourreau.
S’empare alors de moi une énergie que je ne reconnaissais pas. Un liquide incandescent qui m’était inconnu jusque-là. L’orgueil. L’orgueil pur, absolu, démesuré. Une vague gigantesque qui me hurle dans tout le corps “Tu me testes ? Je ne faiblirai pas devant toi. Tu peux me demander ce que tu veux, je mourrai mais je tiendrai.”

(Le Ballet des retardataires)

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Un premier roman percutant, dépaysant, élégant, aussi court que puissant, qui s’imprime en soi par ricochets. « Le ballet des retardataires – Tokyo, tambours et tremblements » est un beau texte autobiographique, qui relate l’apprentissage de son auteure, Maïa Aboueleze, à l’art du tambour japonais traditionnel : le taïko. Après des études de danse au conservatoire et d’histoire à l’UCO d’Angers, Maïa Aboueleze devient comédienne, puis se passionne pour le taïko. En 2011, elle obtient la bourse Vocatio (pour les jeunes talents) et part perfectionner son jeu à Tokyo, sans rien connaître du Japon, de ses traditions, de ce monde hermétique du taïko qu’elle pénètre à tâtons, en totale soumission et sans connaître la langue. Première Européenne à avoir franchi les portes de l’école la plus secrète de Tokyo, l’auteure nous livre un témoignage poétique et piqueté d’humour sur les traditions, la discipline, l’exigence quasi militaire et l’abnégation dont elle doit fait preuve, comme les autres élèves, sinon plus, pour avoir le droit de conserver sa place. Une belle école d’apprentissage qui fait réfléchir à l’efficacité de nos propres instances éducatives.

L’auteure-narratrice raconte au fil de son apprentissage son quotidien à Tokyo, ses étonnements d’une ville grouillante et disciplinée, ses relations avec son hôtesse qui tente de l’initier à la culture japonaise avec quelques mots d’anglais ; elle évoque aussi ses craintes d’arriver en retard aux cours qui sonneraient un retour en France prématuré, la violence des intempéries et la fréquence des séismes. Elle nous ouvre grand les portes d’une école exceptionnelle de rigueur, de dureté et de passion contrôlée, où la maîtrise du taïko semble être un Graal inaccessible, d’autant plus pour une jeune occidentale bredouillant quelques mots de japonais ; elle a juste acquis quelques phrases bateau pour s’orienter dans les rues et les métros bondés et ne pas enfreindre par maladresse les traditions si codifiées et des règlements incompréhensibles. Se caractérisant comme une adepte de la lâcheté face à la douleur, Maïa parviendra pourtant à pousser à l’extrême le seuil de l’abandon face à la fatigue chronique, aux muscles brûlés par des frappes répétitives et aux mains ensanglantées. Le stade de la perfection est à ce prix. Elle le paiera, avec crainte, volonté et… un plaisir grandissant.

« Le ballet des retardataires – Tokyo, tambours et tremblements » se savoure littéralement par petites bouchées délicates, qui exhalent les saveurs mêlées de la poésie de l’instant des Haïkus et de l’humour incisif décapant. Les chapitres courts tissent les fils de ce qui peut être assimilé à une quête initiatique du geste parfait, une alliance du mouvement et du rythme, provoquant un mariage avec l’instrument tel qu’il abolit la barrière de la langue. Les journées d’entraînement, les conseils sous forme d’invectives des professeurs et cette sensation de non-intégration seront consignés avec un regard sans concession vis-à-vis de ses manques, ses hésitations et ses doutes aussi. À travers l’expérience de Maïa, on accède enfin à l’art dur, exigeant et très physique du tambour traditionnel qui n’est pas réservé qu’aux hommes. Et, au fil des pages, on croit même sentir résonner en soi les vibrations de cette parfaite pulsation des taïkos propre à accompagner les battements du cœur.

Nathalie Gendreau

Éditions Intervalles, 11 septembre 2019, 160 pages, à 16 euros.

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