Extrait (page 120)
« L’Affaire Pavel Stein », de Gérald Tenenbaum
“Les pensées tranquilles de la matinée me déplaisent, finalement. Paula, je ne suis pas certain de souhaiter cette paix romaine. Si je dois disparaître, je ne veux pas partir baigné de ce contentement de soi que tu m’as si bien appris à reconnaître et à mépriser. Non, yeux fermés face à ton image, j’opte pour les regrets, les remords et les illusions, je vote pour la rage au ventre.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Gérald Tenenbaum est un mathématicien, chercheur et professeur. Sa spécialité, les probabilités. Son credo, le dessous des nombres, avec lesquels il entretient une relation fusionnelle, les amadouant, les cajolant, les imaginant avec une fonction différente de celle d’additionner, de soustraire ou d’échafauder des statistiques. Y aurait-il dans l’essence des nombres et leur union kabbalistique – ou tibétaine – la naissance universelle d’une autre voie qui conduirait l’être pensant à se considérer autrement ? Peut-être comme l’élément d’un tout, à moins que cela soit la duplication d’un tout… ? « L’Affaire Pavel Stein », paru chez (Cohen & Cohen), est une curiosité littéraire mystique qui révèle toutes les interrogations d’un homme à la spiritualité exacerbée, cherchant à concilier le hasard et la rationalité. « Faire le vide est une source de sens », fait-il dire à son personnage Pavel Stein, un cinéaste reconnu pour ses œuvres sur la mémoire, le manque, l’absence, le vide et, fatalement, la mort. Une phrase qui donne la tonalité d’un livre puissant, nécessitant une exigence d’ouverture de la part du lecteur à la hauteur de l’exigence de la pensée de l’auteur. L’histoire d’amour bâtie en parallèle est le révélateur qui donne de la couleur à cet instantané philosophique. L’intrigue avance doucement, glissant presque comme des patins sur le parquet, se faisant à la fois caresse et décapage. Une belle leçon de lenteur qui fait du lecteur gourmand un gourmet.
Résumé
Nous sommes à l’orée de l’année 2000 qui déterre toutes les peurs ancestrales de « fin du monde ». Paula Goldman est journaliste Web. Sa spécialité, la culture et les questions identitaires. À la suite d’une projection du dernier long-métrage de Pavel Stein, et après l’avoir égratigné allégrement dans un article, elle accepte de rencontrer le réalisateur pour l’interviewer. Contre toute attente, une relation s’installe, prend même une importance inédite jusqu’au grand amour, fulgurant, fusionnel où la valeur des mots et celle des nombres ont une résonance égale, prépondérante. Pour l’un comme pour l’autre. Ce couple improbable s’est bien trouvé, car formé de deux individualités meurtries dans leur mémoire familiale par le génocide juif qui a fait de l’absence une obsession du vide. À la veille des troubles à Lhassa, au Tibet, Paula rejoint Stein dans une lamaserie, où il a l’habitude de faire une retraite. Elle s’étonne de la présence de Samir, un Libanais qui assure l’intendance, mais aussi la sécurité du réalisateur, car cet homme a eu une idylle avec son meilleur ami, Antoine. Hasard ou coïncidence ? Le mystère reste entier, elle doit regagner la France. Mais, à la suite de manifestations indépendantistes, les forces militaires chinoises menacent d’investir le monastère. Stein, observateur silencieux, prendra position jusqu’au drame qui provoquera l’absence, le vide, le manque. Paula restera debout, elle a désormais une raison de vivre.
Pour approfondir
Dans l’œuvre de Gérald Tenenbaum, « L’Affaire Pavel Stein » est un jalon supplémentaire dans son introspection et ses questionnements existentiels concernant la charge et la transmission mémorielles et la révolte contre le déterminisme. Lui seul sait s’il est arrivé au bout de ce cheminement intérieur, mais il touche avec ce nouveau roman à ce qu’il y a de plus mystique et de quête de détachement. Il fait se rencontrer deux êtres qui se complètent pour ne former qu’un, l’amour est transcendé dans une recherche supérieure de sens, où se coudoient le collectif et l’individuel. Ce n’est pas un combat, mais une danse d’adieu avant même que le couple le sache. L’inéluctable est un compagnon de route de ce roman, ce qui rend d’autant plus attachants les personnages. L’intrigue progresse au rythme de l’amour naissant, lentement, avec minutie. Ainsi, tous les ingrédients du drame s’emboîtent pour faire un tout cohérent, quoiqu’inattendu. Si le mystère « Stein » reste entier, le corps reprend ses droits face au spirituel, car n’est-il pas l’amplificateur des émotions ? De roman en roman, la pensée mystique de l’auteur sur l’essence de l’être et le sens auquel il donne à son existence s’affine, se resserre, s’épure. Les mots se dépouillent de tout artifice, s’éclairent de cet effeuillement méthodique, prennent un poids autre, qui interrogent au lieu d’asséner. « L’Affaire Pavel Stein » est un roman qu’il convient de garder à portée d’envie, pour le relire à un autre moment, pour un autre regard, une autre compréhension.
Nathalie Gendreau
Éditions Cohen & Cohen, 21 août 2021, 146 pages, à 17 euros.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Avec sa découverte de « L’affaire Pavel Stein », Nathalie Gendreau se surpasse. Dans la rédaction de sa critique d’abord avec quelques formules que je n’hésite pas à reproduire comme « le corps… amplificateur des émotions » ou « l’inéluctable est un compagnon de route ». Ensuite par sa pudeur dans l’art de la narration qu’elle pratique avec la juste retenue que certains nomment « suspense ».
Finalement on a autant envie de partir à la rencontre de ce mystérieux Pavel Stein qu’à la découverte de son créateur Gérald Tenenbaum. Un grand merci Nathalie pour cette double incitation au bonheur de la littérature parfois délaissée dans les tourbillons d’une époque qui vient de retrouver ses vieux démons avec la pratique de l’autodafé… de Tintin et Milou au Canada (source Le Monde) !
Merci pour cette nouvelle belle critique qui donne envie.
J’ai l’impression que « L’affaire Pavel Stein » est un livre pour moi !