Critique de “La vie suspendue”, Baptiste Ledan (♥♥♥♥♥)

Temps de lecture : 2 min

Un roman original et réussi

Baptiste Ledan chérit la littérature et les auteurs. Son premier roman « La vie suspendue », paru aux éditions Intervalles, est en soi un cri d’amour explicite. Il conduit par ce désir sous-jacent de se faire voix de leurs inspirations. Convoquer les auteurs français et étrangers les plus marquants du siècle passé dans cette fable satirique et fantaisiste est la preuve d’une culture étendue qui se réinvente à l’aune de la reconnaissance et de la continuité. Dans ce roman original et philosophique, le temps est comme « suspendu » aux souvenirs qui se lassent sans possibilité de trépasser. Tomas Fischer est en deuil. Il n’aspire qu’à se mettre en retrait de la société et de cette vie trop animée pour sa douleur inconsolable. Alors il part dans cet endroit où tout étranger ne peut qu’être en transit, sous peine d’expulsion. Cette ville se nomme Lasciate. Elle est grise et triste comme l’ennui. C’est le lieu idéal pour supporter sa peine. Il s’y plaît tellement qu’il y restera, devenant ainsi clandestin. Ses quelques amis, étouffant sous leur âge canonique, se serviront de son empathie pour les délivrer de la vie.

L’éternité en trame de fond

Dans « La vie suspendue », Baptiste Ledan crée un monde lunaire où la mort est abolie, où il est même interdit de se l’offrir. À travers la trajectoire de son héros et celle de son fils, l’auteur s’interroge sur l’immortalité, mettant en dialogue des avis tranchés. À une échelle du temps humain, la sempiternelle question se pose  : vaut-il mieux brûler la bougie par les deux bouts, c’est-à-dire avoir une vie abrégée, mais riche d’expériences et d’émotions fortes ? Ou vaut-il mieux une vie plus ascétique, prudente, qui serait certes un peu plus longue, mais aussi plus morne ? Dans l’univers de l’auteur, cette question se mesure à l’échelle de l’éternité, alors que notre époque s’agite dans les laboratoires pour ne plus vieillir, ou vieillir mieux. Si la vie éternelle nous était attribuée, par la grâce de la science, accepteriez-vous ce don, sachant qu’il pourrait vite se muer en damnation à perpétuité ? Ne pas vouloir mourir est humain, surtout quand l’échéance arrive bien trop tôt.

Une écriture plaisante, mordante, à rebrousse-poil

Ce premier roman de Baptiste Ledan est très réussi. Il nous ramène à notre humble condition d’homme et de femme, et à ce besoin de la rendre tangible malgré une mort programmée. Il s’inscrit dans la continuité d’une thématique d’autres ouvrages sur la complexité de notre monde, son impermanence et ce désir d’en saisir tous les arcanes. À cheval entre philosophie et désinvolture, il trotte léger malgré tout. C’est très plaisant. C’est dû à l’écriture serrée, précise, percutante, sans affect, tantôt facétieuse, tantôt cynique. Au sens critique, et surtout à l’humour noir grinçant, mordant, caressant même, mais à rebrousse-poil. Rien n’est gratuit, jusqu’au découpage des chapitres courts aux titres d’ouvrages célèbres. Il y a des allusions à « L’étranger » d’Albert Camus, « La ville invisible » d’Italo Calvino, « La métamorphose » de Franz Kafka, de « Tristes Tropiques » de Claude Lévi-Strauss… Chacun ayant, bien entendu, un lien de sens, avec le contenu. Ainsi, la forme et le fond forment un tout indivisible aux répercussions intérieures insoupçonnées. On aime et on en redemande.

Nathalie Gendreau

Éditions Intervalles, 18 février 2021, 252 pages, 18 euros.

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