“La sœur du Roi”, Alexandra de Broca

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Élisabeth n’a cessé de se tourner et se retourner dans son lit, obnubilée par le visage de Dassy. L’absence d’Angélique lui est odieuse. À qui va-t-elle pouvoir se confier, demander des conseils ? Je ne sais que faire. Aller vers lui ? L’inviter au château ? Mettre le docteur dans la confidence ? Je suis grotesque, peste-t-elle. Depuis quand évoque-t-on avec un homme ce genre de trouble ? C’est la vraie vie, je ne suis pas dans un roman ! Et les mœurs légères des Liaisons dangereuses ne sont que chimères. Je ne pourrais me comporter ainsi. J’ai besoin de le revoir, telle nécessité. Elle se lève brusquement et s’installe à sa table. À défaut de parler à son amie, elle va lui écrire. Oui, tout lui raconter ! Mais la comtesse de Polignac, sa dame d’atours pour la semaine, l’interrompt pour lui annoncer les festivités officielles de la journée. Élisabeth les refuse toutes en prétextant son dos endolori par sa chute et réclame la visite du docteur Le Monnier.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Avec “La sœur du Roi”, Alexandra de Broca continue de faire fructifier avec bonheur le terreau de l’Ancien régime, sa période de prédilection. Après deux romans (*), l’un sur Marie-Thérèse de France, la fille de Marie-Antoinette et du roi Louis XVI, et l’autre sur la vie de la princesse de Lamballe, l’amie fidèle de la reine de France Marie-Antoinette, l’historienne ravive aujourd’hui, sous une plume royalement inspirée, la vie de Madame Élisabeth, la plus jeune sœur de Louis XVI. Attendrie par la personnalité complexe de son sujet, l’auteure revient sur la période troublée de la Révolution française avec une biographie documentée, qu’elle agrémente d’une histoire d’amour platonique intense à l’avenir incertain. Elle nous livre deux vies, l’une réelle et l’autre inventée, qui cheminent en parallèle dans de courts chapitres jusqu’à la rencontre fortuite qui embrasera des cœurs trop entiers pour fuir un destin capricieux.

1794, 20 Floréal de l’An II, Madame Élisabeth va être guillotinée. Parmi la populace haineuse, un homme se distingue. C’est François Dassy, botaniste du roi. Livide et fiévreux, il assiste à l’exécution, il accompagne jusqu’au bout la femme qu’il aime en secret d’un amour absolu depuis des années. Élisabeth est née Princesse en 1764 à Versailles. Très tôt orpheline, elle connaît la solitude. Elle grandit en intelligence et en érudition, s’intéresse à toutes les sciences, vit sincèrement sa religion et compatit à la souffrance du peuple. C’est alors qu’Élisabeth rencontre François, un beau jeune homme au regard sombre et roturier. C’est le coup de foudre qui les projette dans un ailleurs clandestin, exaltant mais platonique. C’est aussi un baume qui apaise leurs souffrances et désillusions. Elle, la catholique, tourmentée par une vie de recluse à la Cour d’un Versailles tourbillonnant qui lui déclenche des crises d’apathie entre ses périodes de grandes activités. Lui, le protestant, tourmenté par la mort accidentelle de sa mère dont il se rend coupable et qui le contraint à s’exiler pour oublier. Pendant quatre ans, ces deux êtres aux sentiments à vif vont se mettre à nu, entre passion et déchirure, entre colère et soumission, pour le meilleur et pour le pire.

Historienne de formation, l’auteure confirme ses talents d’artiste en brossant un portrait de Mme Élisabeth à la Vigée-Lebrun, tout en nuances, par petites touches pastel d’humanité. En essayant d’être le plus fidèle possible à la réalité documentée, elle réussit à contrebalancer une réputation de femme austère et prude, beaucoup trop consciente de ses devoirs pour faillir à ses obligations. Si l’Histoire n’a pas retenu le nom de l’heureux élu qui fera chavirer le cœur solitaire de la Princesse, Alexandra de Broca l’invente et lui crée une histoire qui immerge le lecteur dans l’époque fabuleuse des “Lumières”. En arrière-plan de cet amour impossible, elle plante un décor scientifique passionnant qui fait voyager dans un monde charnière et paradoxal, qui soigne et tue pour le bien public. Un roman historique qui se lit d’une traite pour découvrir ce que le destin réserve à l’amour ballotté par les remous révolutionnaires.

*”La princesse effacée” aux éditions Robert Laffont (2010) et “Monsieur mon amour” aux éditions Albin Michel (2014).

 

Éditions Albin Michel, juin 2017, 409 pages, 22 euros.

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