“La nuit des enfants qui dansent”, Franck Pavloff

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Dans une maison bleue au toit pentu adossée à une église en béton blanc, deux adultes du siècle dernier et deux enfants dans leur époque respirent le même air étouffant d’un mois d’août autrichien. Ils ajustent leurs histoires par bribes comme on cherche les pièces éparpillées d’un puzzle. Les uns savent souder les tuyaux d’un orgue ou soigner les traumatismes, les autres siffler avec les oiseaux ou tenter le grand écart sur une sangle.  Rien ne les oblige à cohabiter dans cet appartement de Salzbourg et pourtant aucun ne voudrait rompre l’étrange équilibre en dents de scie qui les rapproche et les lie.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Homme engagé, Franck Pavloff revient avec un roman qui claque à la conscience et fait vibrer l’émotion à l’image de cette sangle élastique tendue sous les étoiles, ondulante sous le poids du funambule, que l’on appelle « slack ». Dans « La nuit des enfants qui dansent », Zâl est un jeune slackeur solitaire qui méprise le danger, convaincu d’être protégé par le Simorg, l’oiseau roi de la tradition persane. Ne voulant plus rien connaître de son enfance sans mère, il vit enfermé dans un futur censé lui apporter l’Illumination. Andras est un homme éprouvé, hanté par une mémoire martyrisée par des années de nazisme et des décennies de communisme qui ont endeuillé sa vie jusqu’à cet exil qui l’a privé de sa mère patrie. Ces deux orphelins que tout oppose vont s’apprivoiser lors d’un voyage initiatique entre Salzbourg et Budapest. La nécessité de ces deux êtres au cœur cabossé à se réconcilier avec leur mémoire va émerger entre colères et concessions, jusqu’à la délivrance de leur capacité d’aimer.

Sur les réseaux sociaux, Zâl est connu de la communauté des slackeurs qui aiment le voir danser dans la nuit, bondissant sur sa sangle jusqu’au final magique où, d’un sifflement, ses oiseaux viennent habiller d’un manteau de plume ses bras en croix. Théa, jeune fugueuse de dix-sept ans, est subjuguée, elle décide de suivre Zâl comme son ombre adoratrice. Sa fragilité ébranlera le cœur fermé du jeune funambule. Andras est le donateur masqué qui a permis l’organisation de ce show unique dans un lieu désaffecté, près du lac de Constance, puis à Salzbourg, en Autriche, avec l’espoir de le rencontrer. Car Zâl est l’enfant de Tina, une femme qu’il a aimée, puis abandonnée lors de la fuite de la Hongrie du bloc soviétique, en 1989, alors qu’elle était enceinte. Ce dont il ne s’est jamais pardonné. Durant ce voyage jusqu’à Budapest, cet homme entend révéler à Zâl son passé, alors que celui-ci refuse tout héritage pour vivre dans la légèreté du lendemain.

Dans « La nuit des enfants qui dansent », l’auteur a érigé la Hongrie en personnage attachant qui palpite au rythme de l’Histoire. Il apporte ainsi un éclairage passionnant sur un pays malmené. Malgré la gravité du propos, l’exil passé et actuel des peuples sous le joug du totalitarisme, le roman pétille de vie. C’est dû à la candeur et la pudeur des personnages, mais aussi à la poésie de l’écriture qui fait voyager léger. Cette impression est amplifiée par la passion d’Andras pour la musique classique et son métier de facteur d’orgues. Après les années sombres du despotisme et de la barbarie, le soleil de la jeunesse se lève enfin, avec une espérance fulgurante symbolisée par le festival de Sziget, un festival de musique organisé sur l’île de la Liberté qui rassemble pour une semaine en août des milliers de jeunes du monde entier. Entre un passé révolu et un futur en quête d’absolu, le présent parvient ainsi à se frayer une place qui fait œuvre de résilience. Un présent lumineux qui unit toutes les temporalités dans une même force. Bref, une trouée de soleil d’été transperçant une nuit de brouillard épais…

 

Editions Albin Michel, 23 août 2017, 288 pages, à 19,50 euros.

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