« La Mort en partage », Thierry Rocher

Temps de lecture : 3 min

Incipit
“Les applaudissements n’avaient pas baissé d’intensité après le deuxième rappel. Les mille cinq cents spectateurs du théâtre municipal témoignaient leur enthousiasme avec une force qui avait une saveur particulière en ce samedi pluvieux de février. Pierre Chalet croisa, en coulisses, le regard de Natacha, l’attachée de presse, fidèle à son poste depuis presque dix ans. Le léger sourire qu’elle lui adressa réchauffa Pierre avant qu’il ne retourne sur scène saluer une dernière fois son public.”

“La Mort en partage”, Thierry Rocher

Critique express ♥♥♥

On connaît Thierry Rocher comme comédien, chroniqueur et humoriste français, notamment sur Paris Première à La revue de Presse, mais pas encore comme écrivain. Malgré le titre qui peut le laisser supposer, « La Mort en partage » n’est ni un thriller ni un polar. C’est un roman psychologique sur la perte d’êtres chers de manière abrupte, l’itinéraire d’une reconstruction qui en fait détruit. Pierre Chalet a perdu sa femme et sa fille unique lors d’un attentat perpétré par des terroristes islamistes. Lui qui appelait à ne pas faire d’amalgames s’enferre peu à peu dans une position radicale contre les musulmans tout en s’attachant à une musulmane, Jenna, une jeune comique talentueuse qui le pousse dans ses retranchements émotionnels. Pierre Chalet n’est pas à un paradoxe près. Il supporte de moins en moins la procession de témoignages de sympathie et de compassion. Quand on est célèbre et humoriste, la douleur et le silence ne lui appartiennent plus vraiment. On attend de lui des messages de paix et d’apaisement, loin de l’esprit de vengeance. Mais que faire face à l’insoutenable injustice, qui fait de ses nuits un cauchemar ? à la fatalité nauséabonde qui lui donne des nausées ? Que choisir entre haine et pardon, si tant est que le choix soit une option ? Dans son roman, l’auteur aborde ces thèmes en nous donnant à suivre le cheminement intérieur d’un homme acculé à la vengeance, un agonisant de la vie qui s’englue dans une schizophrénie progressive jusqu’au passage à l’acte. Puissant, original, lancinant, ce premier roman vaut le détour.

Pour approfondir

Avec « La Mort en partage », Thierry Rocher est loin de « Qi Shi Tsu », son personnage fétiche aux lapalissades loufoques… Quoi que ! Nombre de chapitres s’achèvent par une sentence personnelle sur la mort qui dessine un sourire sur les lèvres du lecteur. Une sorte de pause dans l’énonciation de la descente en enfer, jusqu’au basculement irréversible. Même le profond attachement à Jenna – qui pourrait être une issue de secours à sa folie – ne parvient pas à l’extraire de sa chute. Pierre Chalet est à l’image de la couverture, à cheval entre deux émotions contradictoires, entre sourire et tristesse, entre pardon et vengeance. C’est un combat acharné qui se livre en lui. Le lecteur comprend très vite qui sera le vainqueur. Thierry Rocher ne le camoufle pas, il nous le souffle par petites touches.

Ainsi, le suspense tombe comme un soufflé, trop délayé par le quotidien qui se répète  : les allers et retours à la salle de bain pour vomir sa douleur, les repas décrits dans le menu, ses shows devant des milliers de personnes alors qu’il fuit les visages contrits. Sans doute pour exprimer un semblant de normalité à cet esprit obsessionnel, cette insistance est voulue et assumée… mais lassante à la fin car, justement, on n’en voit pas la fin. Néanmoins, ce premier roman qui soulève au fil des pages les contradictions d’un être perdu et tourmenté est prenant. Les conversations entre l’humoriste et Jenna ouvrent à un champ fleuri de réflexions sur la perte, le pardon, l’amour, la vengeance, la reconstruction. L’écriture de leur relation s’habille de pudeur, à mille lieues de la noirceur intérieure. L’alternance entre les pensées du personnage et la narration est bien vue, car elle éclaire le passage à l’acte… suggéré. Cette dualité à elle seule est suffisante pour désirer se pencher sur le cœur de cet homme qu’on ne parvient pas à détester vraiment.

Nathalie Gendreau

Éditions De Borée, 20 janvier 2022, 304 pages, à 17 euros.

1 réflexion au sujet de « « La Mort en partage », Thierry Rocher »

  1. A l’évidence, Thierry Rocher se pose trop de questions… comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs. Et n’est ce point ce questionnement excessif qui nous empêche souvent d’être heureux ?

    La fiction que l’écrivain a choisi est un thème difficile car l’épreuve est tellement épouvantable que le lecteur n’a aucune envie de tendre sa joue gauche après avoir reçu un coup pareil sur la joue droite. Nemesis, la déesse de la vengeance ne peut que s’inviter au banquet des obsèques, prélude au temps du souvenir.

    Curieusement, cette chronique de Nathalie Gendreau est publiée au moment où commence le procès des assassins du Père Hamel égorgé par deux islamistes dans son église. Et ses derniers mots « Arrière Satan ! » résonnent comme une conclusion à ce premier roman.

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