“La mésange et l’ogresse”, Harold Cobert

Temps de lecture : 3 min

 

EXTRAIT

“Fourniret rentre alors que je vais éteindre la télévision pour aller me coucher, il n’a pas l’air content de lui, je sais qu’il n’a pas eu ce qu’il voulait, cette maudite membrane, c’est dommage, elle lui plaisait bien, cette MSP, il se met à table, je lui sers sa soupe et ses œufs, il me dit qu’il a allongé la petite sur un matelas à l’étage du château, il ne faisait pas très chaud, on ne chauffe pas pour ne pas dépenser, c’est normal, elle saignait moins, seulement il n’était pas en forme, la petite était très étroite, et puis le froid, ça n’aide pas les hommes, ça se recroqueville avec le froid, un bigorneau, il a voulu l’étouffer avec un sac plastique, mais elle l’a regardé droit dans les yeux, il n’a pas aimé ce regard, il l’a trouvé insoutenable, elle a compris ce qui lui arrivait, elle a dit  : “Vous allez m’étouffer ?”, il n’a pas du tout aimé ça, il racle sa soupe et me dit : “Elle devenait une présence gênante, c’était intenable, elle s’est rendu compte qu’elle était en danger, j’ai voulu abréger ses souffrances par humanité, alors j’ai procédé à son étranglement, je l’ai roulée dans un plaid et je l’ai enterrée dans le parc, à côté de l’autre.” Je débarrasse la table, il a bien fait de l’enterrer là, c’est un bon endroit, et puis c’est bon pour les plantes.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

La mésange et l’ogresse“, c’est l’horreur nue, dépouillée d’artifices dans la cruauté, qui prend à la gorge et ne desserre la pression qu’à la dernière page. Harold Cobert revient sur l’affaire Fourniret, ce couple maudit dont le parcours meurtrier s’est dessiné en France et en Belgique dans les années 80 et à l’orée des années 2000. Si c’est une œuvre de fiction déclarée, elle reste toutefois basée sur les faits révélés lors du procès. Et c’est là tout le coup de génie de l’auteur qui imagine les coulisses d’une année d’interrogatoires de Monique Fourniret.

Nous sommes en 2004. Le temps presse, les enquêteurs belges doivent établir la culpabilité de Michel Fourniret pour l’inculper de viols et d’homicides. Faute de preuves, il devra être remis en liberté. L’action se concentre sur l’enquête qui prend la tournure d’un marathon à la quête de preuves. L’homme, surnommé lors de son procès “l’Ogre des Ardennes”, est un pervers intelligent qui joue à cache-cache avec la police. La femme, surnommée “Mésange” dans l’intimité du ménage infernal, n’est peut-être pas aussi demeurée que son attitude prostrée le laisse entendre. Les enquêteurs pensent pouvoir la faire craquer, mais elle résiste au bras de fer psychologique lors de ses interrogatoires.

Le réel dépasse la fiction, dit-on souvent. Cette formule bateau prend un coup de fouet magistral sous la plume taillée sur mesure d’Harold Cobert qui nous embarque en eaux troubles, fangeuses, nauséabondes. L’abomination et la perversité se révèlent à l’état brut, sous le visage baigné d’une fausse innocence d’une femme et mère évoluant dans la société avec sa propre échelle de valeurs, prise en étau entre ses souffrances passées, ses peurs de la solitude et ce pacte diabolique conclu avec son mari.

L’intensité du récit est renforcée par une construction chorale. L’alternance des points de vue articulant les faits et les événements permet de plonger dans la tête de l’Ogresse. Si elle répond par monosyllabes hachés, sa pensée est une logorrhée vide d’émotions, accentuée par de longues phrases ponctuées de virgules. Sillonner les méandres d’un tel cerveau détraqué glace les os, mais exalte en même temps la soif de justice. Quant à l’enquête, elle se vit de l’intérieur, avec les stratégies, les fausses pistes, la difficulté à séparer vie familiale et vie professionnelle. Comme en soutien, le lecteur vit dans la même attente insoutenable de trouver cette fichue preuve.

La mésange et l’ogresse” est un roman choc, très documenté, sans bavure, qui ouvre une boîte de Pandore au contenu périlleux, mais abordé avec justesse, ce qui confère au roman un réalisme indubitable.

Éditions Plon, août 2016, 350 pages, 18 euros


Harold Cobert est l’auteur de plusieurs romans, dont Un hiver avec Baudelaire, L’Entrevue de Saint-Cloud (Éditions Héloïse d’Ormesson) et Jim (Plon, 2014).

 

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