Extrait
“J’ai toujours été amoureuse de Jacques. Il était le fils unique d’un médecin de Grenoble, et, comme nous, il passait ses vacances d’été à Petichet. Il habitait la grande maison bourgeoise qui se dressait au bout du chemin. J’avais à peine dix ans ; Jacques, dix-sept. Chaque matin, je me précipitais à la ferme voisine avec mon pot au lait, dans l’espoir de le rencontrer. Jacques venait, lui aussi, chercher le lait encore tiède de la Boucharde, la plus vieille des vaches de Madame Gontrier, mais celle qui donnait le plus de lait aussi. Ma sœur Jessica ne voulait boire que de ce lait-là. Si Jacques tardait à apparaître, je trouvais mille prétextes pour rester aux abords de la ferme. Je m’asseyais sur le banc de pierre adossé au mur de l’étable, à l’ombre d’un immense tilleul en fleurs, et je bavardais avec la fermière.” (page 12)
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
“La maison de Petichet“, aux éditions Glyphe, ouvre ses portes à un amour infernal et dévastateur qu’Évelyne Dress brosse au fil des étés passés dans la demeure familiale. Petichet, hameau près de Grenoble, est comme “un petit bout de terre promise” pour cette famille d’émigrés hongrois, exilés pendant la Seconde Guerre mondiale. Si ce rituel des retrouvailles à Petichet est une réalité familiale pour l’auteure, l’autobiographie s’arrête à la frontière de l’imagination d’un amour passionnel et incestueux. Bercée de souvenirs et d’impressions, l’auteure réussit à inventer une histoire recomposée, surprenante et intense, avec des personnages optimistes et volubiles, débordant de vitalité et d’extravagance, malgré le drame lent et inexorable qui se prépare comme les orages de fin d’été.
Alma a dix ans, Jessica dix-sept. Elle est aussi dévergondée que sa sœur est prude, aussi espiègle que sa sœur est studieuse. Deux opposées qui s’adorent. Quand Alma tombe amoureuse de Jacques, qui a sept ans de plus qu’elle, elle n’aura de cesse de manœuvrer pour lui voler un baiser. Ses stratagèmes finissent par payer. Tous les rêves lui sont permis, jusqu’à ce que Jacques annonce son mariage avec sa sœur. Leur relation est pourtant indestructible, lui-même est fou d’elle. Leurs ébats sont d’une force irrépressible qui balaye les conventions et l’éducation religieuse. Les sentiments d’Alma virent à une obsession telle qu’elle en nourrit de la haine pour cette sœur qui se contente d’aimer sans passion. Sa frustration, qui la conduit à ne faire des choix que par défaut, va la précipiter vers une dure et impitoyable réalité.
À travers la voix d’Alma, radicale et décomplexée, Évelyne Dress étend la trame d’une histoire d’amour hors-norme et taboue. Avec son écriture, suave et virevoltante, elle déroule l’évolution d’une relation coupable qui grandit été après été. Elle en décrypte avec acuité et sensualité tous les ressorts, la violence grandissante, les spasmes des sentiments et la frustration répétitive qui finissent par occulter toute raison. Cette histoire est aussi l’occasion pour l’auteure de se reconnecter avec ses origines en plaçant son héroïne, belle et sanguine, dans une famille juive aux caractères bien tranchés et au parcours douloureux. Si tout est douleur, tout est aussi joie : la famille, ses racines et ses traditions, et la nécessité d’en préserver l’unité. “La maison de Petichet” est un roman qui se dévore et rend orphelin de ses personnages.
Éditions Glyphe, 30 septembre 2017, 220 pages, à 16 euros.
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