“La jeune fille au chevreau”, Jean-François Roseau

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 30)
Dès 1942, on vint toquer aux portes avec d’odieuses manières. Rafle et lettre anonyme. Danse macabre, marché d’esclaves et trahison de voisinage, entre soi et sans bruit. Cent francs la vie d’un tel, cinq cents pour celui-là, de quoi s’acheter des bas, du beurre et de solides chaussures… L’air de la ville tourna, se fit plus rance, l’humeur devint craintive. on se méfia de tout et surtout de tout le monde. Mais ce n’était là qu’un commencement… .”

“La jeune fille au chevreau”, de Jean-François Roseau

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

L’amour est-il l’excuse à tout, et surtout pour ne rien faire ? Jean-François Roseau s’empare de ce thème pour le projeter dans une époque aux contrastes terrifiants, sourdement excessive. Dans « La jeune fille au chevreau », aux éditions Bernard de Fallois, « le petit Pygmalion » est un adolescent de quinze ans, réservé, sensible à la beauté et fou de dessins. Sans une once d’agressivité ni de témérité, il entre de plein fouet dans les troubles de l’occupation allemande, qui révèle les extrêmes et muselle les tièdes. Inspiré d’un fait réel, l’auteur s’est approprié les douleurs de ces terribles années pour magnifier une histoire d’amour aussi commune que malsaine en un pur moment de lecture. À trente ans, celle qui fut la gracieuse jeune fille au chevreau aux courbes graciles parfaites – que l’artiste Marcel Courbier a réellement immortalisée dans une sculpture célèbre à l’époque – a gardé son immense pouvoir d’attraction. Ils sont nombreux ceux qui aspirent à l’approcher, les Français comme les Allemands. Le petit Pygmalion compte parmi ces transis de désir, même si la belle dame semble préférer dispenser ses charmes aux Occupants. Mais, à côtoyer assidûment la dame, le petit Pygmalion se compromet et marche d’un pas résolu à sa perte.

Résumé

À Nîmes, dans le parc « Les Jardins de la Fontaine », un octogénaire arpente en solitaire les allées de sa jeunesse, comme au temps où il restait des journées entières à contempler la statue La jeune fille au chevreau et à la croquer dans son cahier de dessin, reproduisant inlassablement les galbes jusqu’à la fascination. C’était une époque où Nîmes était en zone dite libre, avant que surgissent les Allemands, en 1942. Aujourd’hui, la statue n’est plus sur son socle, mais le souvenir est encore bien présent, brûlant et dense comme cette pierre qu’il aimait caresser et qui semblait prendre vie, autrefois, dans ses dessins. Le vieil homme s’apprête à se confronter au modèle de cette statue, fantôme supplicié, qu’il a aimé follement, mais aussi au chaos de l’épuration qui a fait d’elle une victime et à la soif de vengeance des jaloux qui a réduit à néant ses actions pour la disculper. Elle était accusée d’intelligence envers l’ennemi, d’enrichissement et de dénonciations. M. – qu’il ne se résout pas à nommer – était-elle coupable ? Les apparences sont toujours trompeuses, surtout quand la jalousie et la politique forment une alliance d’intérêt. Et lui, le lycéen puceau dont le cœur échauffé l’avait amené à pousser la porte du 29 rue de la Plateforme, là où M. recevait l’ennemi à dîner, qu’avait-il fait, sinon se compromettre ? Est-on coupable de laisser filer les événements sans les retenir ni les détourner pour la cause du bien ?

Pour approfondir

Captivante et poétique, « La jeune fille au chevreau » est une romance d’une grande délicatesse, un îlot d’amour dans un océan démonté de haine. Balloté, mais jamais submergé, cet îlot entre en résistance face à l’adversité, à la fureur, à la mort et aux années de vide que le héros n’a jamais pu combler. Qu’on ne s’y trompe pas, cet amour aussi pur qu’aveugle est l’astucieux instrument narratif qui permet à l’auteur Jean-François Roseau d’exhumer un fait réel de l’oubli de la grande Histoire  : le procès par une cour martiale de Marcelle Battu, l’épouse d’Albert Polge, footballeur du Sporting-Club de Nîmes, en septembre 1944. Sous la plume alerte et bienveillante de cet avocat de la défense, Marcelle Battu – alias M. – renaît la chair palpitante de vie, mais aussi libre et entière, dont la superficialité assumée abritait une personnalité profonde. On ne peut qu’aimer cette femme fatale au destin tragique. On ne peut que sortir de cette histoire sonnée, émue, avec des envies de crier à l’injustice… 75 ans après.

Nathalie Gendreau

Éditions de Fallois, 4 mars 2020, 240 pages, à 19 euros en version papier et 13,99 euros en version numérique.

1 réflexion au sujet de « “La jeune fille au chevreau”, Jean-François Roseau »

  1. Il me semble qu’il s’agit davantage d’une histoire d’épuration ordinaire que d’un amour extraordinaire. L’amour et la guerre ! Depuis toujours ils ont fait bon ménage et lorsque la mort les séparait l’amour a parfois hérité de l’éternité. Comme Hélène de Troie. Mais dans le cas de Marcelle Battu on note que les magistrats de l’accusation lui reprochent « d’intelligence avec l’ennemi » !. Je verse au dossier de la Défense la phrase de Sacha Guitry que l’on accusait du même crime. « Reprochez moi plutôt d’avoir manqué d’intelligence avec l’ennemi ». A titre personnel, et en tenant compte des innombrables témoignages recueillis, je pense que l’épuration à condamné parfois des innocents et « oublié » des coupables.
    Mais si cette histoire a retenu l’attention de Nathalie Gendreau, c’est qu’elle mérite peut être l’exemplarité et d’emprunter ainsi le même chemin qu’Hélène de Troie.

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