« L’Adieu à la scène », que tombent les masques !

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

Une nouvelle invraisemblable déferle dans les rues de ce Paris du XVIIe siècle, en 1677. C’est un cataclysme qui traverse les âges et qui se joue jusque sur les planches de l’Espace Roseau Teinturiers sous la forme d’une pièce intense de Jacques Forgeas, nommée L’Adieu à la scène. Jean Racine (Baptiste Caillaud) renonce à écrire pour le théâtre pour devenir l’historiographe du Roi Louis XIV. Jean de La Fontaine (Léo Dussollier), son cousin, entend convoquer l’homme qui l’évite, au prix d’un stratagème audacieux. Il dépêche deux jeunes femmes, Clarisse (Emmanuelle Bouaziz) et Sylvia (Chloé Stefani), pour inciter le tragédien à revenir sur les pas de ses succès et de ses amours cachées, une loge de l’Hôtel de Bourgogne. Le piège fonctionne, il se referme sur un huis clos palpitant jusqu’à la dernière révérence.

Dès leur mise en présence s’instaure entre Racine et La Fontaine une vive et passionnante discussion, argument contre argument, confession contre incompréhension. Les deux jeunes filles ne se résolvent pas à quitter les lieux. Clarisse qui déborde d’admiration pour le tragédien et se rêve comédienne s’insurge contre sa décision irrévocable. Sa douce amie Sylvia n’est pas grisée par la scène, mais s’interroge tout autant. Elles interviennent à tour de rôle, qui avec ferveur qui avec candeur, pour insuffler un rythme, une dynamique, un souffle. L’énergie ne s’émousse pas, elle reste tendue entre les quatre jeunes comédiens qui tiennent leur rôle dans la justesse, sans effets inutiles. Tout se joue dans l’économie des gestes, dans la retenue des sentiments et la profondeur des regards qui s’accrochent, communiquent et restituent. Les faisceaux de lumière viennent rehausser une ombre, un reflet, une posture, un tremblement, un soupir, une espérance, puis la révérence. L’épure de la mise en scène de Sophie Gubri, privilégiant des drapés noirs, une coiffeuse et un portant de costumes de scène et de masques stylisés, octroie à la loge reconstituée tous les apparats de la tragédie qui se noue.

À 37 ans, en pleine gloire, où pleuvent argent et faveurs, Racine fait ses adieux à la scène, renonce à écrire pour le public après dix succès retentissants. L’auteur Jacques Forgeas découvre cet aspect de la vie du tragédien en écrivant sa précédente pièce Le corbeau et le pouvoir, où il réunissait là encore quatre personnages : Racine, Colbert, La Fontaine et Molière. Il s’interroge à ce renoncement. L’impossibilité de dire « non » au roi est-elle une raison suffisante ? C’est tout l’enjeu du texte de la pièce qui explore les sentiments de Racine, qui fouille dans son enfance de jeune orphelin, dans son éducation janséniste et donc religieuse, dans sa vie amoureuse contrariée malgré son prochain mariage. La requête du roi l’a-t-il vraiment « libéré d’une décision qu’il ne pouvait pas prendre », lui qui même « dans le mensonge ne sait pas dire “non” au roi » ? Peu à peu, mensonges après démentis, les masques finissent par tomber, celui de Racine bien entendu, mais aussi ceux de ces deux amies qui s’aiment d’un amour tendre et interdit.

Avec L’Adieu à la scène, c’est tout un pan de la vie de Jean Racine qui se révèle à nous et qui nous est conté avec l’accent du classique qui fuse de modernité. Et le costume trois-pièces sombre de Racine n’y est pour rien. La modernité ne vient pas des habits contemporains, mais du jeu sobre et intense des comédiens et de la loyauté de l’écriture. Le texte exalte l’union sacrée de la poésie et de la simplicité, de la rythmique et de l’incisif, du silence et des mystères. En ressuscitant Racine et La Fontaine, la pièce donne la possibilité aux quatre jeunes comédiens de jouer avec talent un dialogue, perdu d’avance quant au dénouement, mais qui offre un cadeau inestimable au public. Très bel hommage au théâtre et à ceux qui le défendent… sans se couper de ses racines.

Nathalie Gendreau

Crédits photos du carré Mathias Zwick ( B. Caillaud) Sarah Robine (E. Bouaziz, L. Dussollier) Caroline Dubois ( C. Stefani).
Les deux photos du spectacle sont issues de la captation réalisée par Antoine Lhonoré-Piquet.


« L’Adieu à la scène »

Auteur : Jacques Forgeas

Artistes : Baptiste Caillaud, Emmanuelle Bouaziz, Chloé Stefani et Léo Dussollier.

Metteur en Scène : Sophie Gubri

Création musicale : Nicolas Jorelle

Scénographie : Camille Dugas

Lumière : marie-Hélène Pinon

Costumes : Claire Belloc

Production  : Dominique Attal

Espace Roseau Teinturiers, 4, rue des Teinturiers 75016 Avignon

Horaires :  du 6 au 9 juillet à 10 heures.

Relâches les 12, 19 et 26 juillet.

Durée : 1h15


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