“J’ai des doutes”, Devos selon saint Morel

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

Faisant son entrée sous les orgues célestes et roulements de tonnerre, François Morel apparaît sur la scène du Théâtre du Rond-Point dans la sainte pelisse du Dieu tout-puissant. Dieu gronde et rugit : il exige la convocation de Raymond Devos pour animer le Paradis qui s’ennuie à en perdre son latin. Si l’on ne convoque pas l’inoubliable Devos, même pour un colloque ou un soliloque, à quel saint pourrait-on bien se vouer ? Fort heureusement, sur cette terre orpheline du maître inégalé des jeux de mots, la relève est là. Rompu aux arts faiseurs de bonheur (comédien, écrivain, chroniqueur, chanteur, danseur et musicien), François Morel est mû d’une telle ardeur admirative qu’il transcende le souvenir d’un être rare ayant fait de la folie sa raison d’être. Dans « J’ai des doutes », son récital de mots et de notes, le talentueux humoriste invite Devos et son œuvre. Il l’emprunte et la lui restitue sanctifiée grâce à un jeu inouï de sensibilité et de densité, à la composition musicale réjouissante du pianiste Antoine Sahler et interprétée en alternance avec Romain Lemire. Sans compter l’étrange apparition d’une marionnette muette évoquant par son silence espiègle la part de l’enfant en chacun de nous qui nous porte jusqu’à notre mort. La vie, la mort et entre les deux l’irrésistible absurdité, ainsi pensait Monsieur Devos.

Une merveilleuse alchimie s’opère et séduit. Le miracle d’une densité à fleur de peau a bien lieu sur la scène bleu nuit du Théâtre du Rond-Point. Deux humoristes de poids dans un même corps, comment est-ce possible, me direz-vous ? C’est simple : il faut un petit tiers d’humilité et deux bons tiers de talents. Cette condition étant remplie, la cohabitation est diablement habitée. Mais le poids seul ne suffit pas pour atteindre le nirvana de l’esprit, il faut lui ajouter la légèreté poétique, la marque de fabrique de ce divin détricoteur de logique. La délicate sensibilité du duo incarné se répand, généreuse et bienfaisante, tout au long d’un spectacle étonnant par l’imaginaire suscité et la candeur retrouvée des premiers émois. C’est comme si les sketches mille fois entendus s’étaient colorisés après le noir et blanc, leur redonnant une virginité inattendue, mais ô combien délicieuse !

Du plaisir des sens jusqu’à Parler pour ne rien dire, en passant par l’illustre J’ai des doutes, Devos et Morel fusionnent dans le même délire poétique, avec ici un accent de Devos et là une mimique de Morel. Raymond et François, quant à eux, se tordent de rire en jouant à cette partie de cache-cache bénie des dieux. C’est une belle brochette de textes hilarants, plus connus les uns que les autres que François Morel reprend en y ajoutant sa propre personnalité mêlée de pudeur et d’audace. Mais il ne se contente pas de les interpréter, il les vit au rythme d’un cœur fougueux, tantôt les disant, tantôt les chantant. Avec force talent, il faut lui reconnaître. Le point fort de ce spectacle vient de la mise en scène des sketches qui racontent visuellement une histoire. On est pris par la main et transporté pendant une heure et demie dans un univers fabuleux de mots qui dansent avec les notes. La belle mise en musique de certains textes comme Je hais les haies ajoute un supplément d’âme et une envolée de rire. L’ensemble est déton(n)ant, original, émouvant et drôlissime.

Veste bleue et nœud pap, la légendaire tenue de scène reste et restera dans tous les souvenirs émus de générations d’enfants, puis d’adultes qui ont ri et vieilli avec ce jongleur de sens. C’est vrai que depuis sa disparition en 2006, les mots ont comme perdu de leur rondeur, de leur verdeur, de leur saveur inimitable. Bistournés par Devos, ils avaient ce vernis spécial qui faisait chatoyer l’absurdité derrière leurs sens stricts. Fils du commun des immortels, ses mots avaient le mors aux dents et les ailes déployées. Mais un Devos devenu coi, à jamais, n’était-ce pas l’enfer au Paradis ? On ne pouvait plus longtemps laisser Raymond rêvasser sous ses lauriers. Bien inspirée a été Jeanine Roze (qui organise les Concerts du dimanche matin) de réveiller la créativité de François Morel pour qu’il écrive un spectacle à l’occasion des dix ans de la mort de Raymond Devos. Le résultat est l’immense bonheur et la reconnaissance éternelle d’avoir retrouvé l’univers du maître ès mots tordus de rire.

Nathalie Gendreau

Photos : © Giovanni Cittadini Cesi

Distribution

Avec : François Morel.

Créateurs

Textes : Raymond Devos
Un spectacle de et avec : François Morel
Composition musicale : Antoine Sahler
Musique et interprétation : Romain Lemire
En alternance avec : Antoine Sahler
Assistanat à la mise en scène : Romain Lemire

Lumières : Alain Paradis
Son : Camille Urvoy
Costumes : Élisa Ingrassia
Poursuite : Françoise Chapero
Conception, fabrication et mise en jeu des marionnettes : Johanna Ehlert, Matthieu Siefridt — Blick Théâtre
Direction technique : Denis Melchers

Retrouvez les dates de la tournée 2019 via ce lien.

Au Théâtre du Rond-Point, 2 bis rue Franklin D. Roosevelt, Paris  8e.

Durée : 1 h 30.

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