“Illégitime”, Patrick Vilbert

Temps de lecture : 2 min

 

Extrait

“J’écoute ce long flot de douleur et de colère qui se perd, je ne veux plus me sentir concerné, je suis le fils de l’autre, celui qui a réussi. Je m’accroche à l’espoir d’une ascendance plus glorieuse, à une génétique du succès qui éloigne le mauvais sort, l’infortune de ces destins maudits. Et je recherche dans les combats judiciaires les plus désespérés la faculté de mieux me mettre en danger, sentir le vertige de la chute au plus près, l’ivresse de la victoire quand plus personne ne l’espère. Alors, je prends ma revanche sur mon père, je triomphe de son silence.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

“Illégitime” est le sursaut libérateur d’un homme qui a tardé à parcourir le chemin de sa reconnaissance. L’auteur, Patrick Vilbert, est avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et conseil de producteurs et d’artistes. Un métier à la croisée d’un monde artistique dans lequel son père, Henri Rollan, cet inconnu illustre, a brillé. Ce comédien au théâtre et au cinéma avait l’âge d’être son grand-père quand il l’a conçu une nuit de Noël avec Suzanne, aussi comédienne. Puis l’a oublié, happé par ses rôles et ses succès. Ce livre magnifique, puissant, délicat, décrit le chemin intérieur d’un fils essayant de dessiner les traits d’un homme, à défaut d’un père, derrière le comédien. Cet acte symbolique vient apposer un baume non pas sur son illégitimité administrative, mais sur ce sentiment paradoxal d’illégitimité vécu de l’intérieur qui l’a poussé longtemps à nier tout héritage : son histoire.

À seize ans, Patrick Vilbert apprend le nom de son père, décédé depuis peu. Il accueille cette annonce telle une évidence, comme si son inconscient l’avait préparé à cette divulgation. Il n’aura vu son père “en vrai” qu’une seule fois, il avait dix ans. C’était au Français où il venait voir Le Bourgeois Gentilhomme, de Molière. L’émotion éprouvée alors par la justesse du jeu du comédien est restée ancrée en lui. Cette émotion a aussi entretenu ce vide d’être le “fils de personne“, titre d’une pièce d’Henri de Montherlant pour laquelle l’auteur se passionnera, lui laissant peut-être cette trace indélébile que, pour être le fils de quelqu’un, il faut d’abord le mériter. Alors il sera le fils tendre et respectueux d’une mère qui ne se relèvera pas d’avoir été abandonnée. La rancœur la précipitera vers la dépression, s’acharnant à mettre à mal sa dignité. Retiré de sa garde, l’auteur passera quelque temps à l’orphelinat, avant d’être recueilli par la famille de sa mère.

Cette biographie émouvante, outre d’être illuminée par la richesse d’un univers culturel foisonnant, relate avec une infinie délicatesse une quête intérieure, tout aussi riche et intense. Mû par ce besoin d’être enfin le fils de quelqu’un, Patrick Vilbert ose se présenter devant la fille d’Henri Rollan, Claude, femme “à l’élégance d’un autre âge“, qui accepte de le laisser fouiller dans les archives publiques de son père, car le comédien gardait tout : coupures de journaux, lettres d’admiratrices, contrats, etc. Quant aux archives privées, soigneusement classées dans des malles d’un autre temps, Patrick Vilbert devra attendre ! C’est donc une fouille, non pas archéologique, mais mémorielle et émotionnelle que l’auteur entreprend. Une introspection finement analysée qui compose une nouvelle partition à sa vie, telle une renaissance, au moment même où sa mère s’éteint. On espère que la quête de “cette moitié d’orphelin au passé imparfait” lui aura permis de restaurer l’intégrité d’un fils dans un présent plus que parfait.

 

Éditions Michel de Maule, avril 2017, 108 pages, 17 euros.

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