“Fragments d’Elle”, un face-à-face en métamorphose

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

Avant de s’envoler à Avignon, pour le Festival OFF, Jeanne Feydel a présenté en avant-première sur la scène du Ciné XIII son premier seule-en-scène, « Fragments d’Elle ». Jeune comédienne et déjà réalisatrice d’un court-métrage, elle se passionne pour l’écriture, vraie, écorchée, à la poésie violente. C’est l’écriture des tripes, celle qui fait du mal et du bien à la fois, et qui donne au jeu un réalisme confondant. Avec Jeanne Feydel, l’émotion est dénudée, vive, déflagrante, généreuse. Sous les attraits d’une lune ronde, une fenêtre de l’âme s’ouvre. Suffisant à la jeune femme en souffrance pour basculer du côté de la face cachée de l’être, cet intérieur fantasmé qui bouillonne d’envies et de non-dits. La magie lunaire opérant, Olympe/Jeanne ramène des profondeurs de l’enfance une amie imaginaire, un paon aux plumes exubérantes et aux yeux perçants qui entend reconduire sur le chemin de la liberté son double égaré.

Il est temps de cesser de se battre contre son passé. Forte de cette nouvelle résolution, Olympe se jette à corps éperdu dans les souvenirs troubles de l’enfance, se raccrocher aux branches de l’amour de cette mère trop fière de sa fille pour en accepter l’échec ou des errements inappropriés. Pour cette mère étriquée dans ses croyances rigoristes, tout comportement qui viendrait rompre avec le code strict de bonne conduite et s’écarterait des sentiers conventionnels, serait vu telle une définitive déchéance. « Je n’ai pas fait d’enfant pour ça ! » crache-t-elle au visage de sa fille en apprenant son homosexualité. Parvenue à l’épicentre de la blessure, Olympe devra ouvrir son cœur pour que tout s’ouvre en elle, comme le lui rappellera Édith, son amie paon. Ouvrir ce cœur blessé qui a volé en morceaux pour que les fragments épars retrouvent le chemin de la maison, au chaud. Ainsi, peut-être, une fois le cœur réunifié, Olympe pourra-t-elle avancer, entière, sereine, légitime… aimée.

« La vie est un champ d’expériences », fait dire Jeanne Feydel à son paon. C’est en cela qu’elle est belle et formatrice. Avec ce seule-en-scène, la comédienne fait sienne ces préceptes ou philosophie de vie qu’elle égrène au fil de son cheminement à rebrousse-douleurs narcissiques. Elle rassemble sur scène cinq blessures essentielles que l’âme peut subir : l’humiliation, la trahison, le rejet, l’abandon et l’injustice. Qui ne peut s’identifier à ces souffrances-là ? Personne, j’imagine. Jeanne Feydel le sait bien. Elle touche au cœur de chacun d’entre nous, parle à l’une de nos souffrances enfouies. Et peu importe qu’elles soient conscientes ou pas, la comédienne touche, et elle émeut. Le public est en terrain de compréhension tacite, impalpable, et qui, pourtant, peut être si réel, si oppressant, si somatisant. La comédienne incarne toutes ces fêlures non cicatrisées pour lui, le public. Elle se métamorphose en paratonnerre émotionnel de tout un chacun, un concentré d’émotions éruptives qui ne laissent pas insensibles, et qui tendent même à susciter la gratitude.

Le thème de la blessure de l’âme est rebattu depuis la nuit des temps. Et pourtant, le sujet et son traitement sont une source d’inspiration inépuisable. Tout n’est jamais dit ni saisi dans son intégralité ou intégrité. Il y a toujours ce sentiment paradoxal du déjà-vu neuf. Ce seule-en-scène introspectif de Jeanne Feydel est l’expression d’une âme en souffrance en voie de réparation. La scène est une puissante thérapie, et la comédienne est criante de vérité dans ce qui peut être son plus beau rôle : elle-même. Elle est authentique dans ses colères et son désarroi, dans ses exaspérations et sa tendresse. L’écriture est son domaine, et elle manie avec aisance autant le verbe écrit que le verbe articulé. Elle nous en fera une démonstration bluffante.

Alors, puisque sa personnalité s’impose d’elle-même, naturellement belle et percutante, pourquoi cette mise en scène filtrante qui éclipse la poésie du clair de lune, si ronde, si nostalgiquement inspiratrice ? « Trop est l’ennemi du bien », une formule qui aurait pu briller au firmament des bonnes intentions, dans cet émouvant spectacle. Certains ajouts scéniques, à dessein symboliques, devant sans doute expliquer ou souligner le propos, au contraire, perturbent le spectateur qui vient de quitter son cœur, à regret, pour réveiller ses fonctions cognitives. Le retour dans la magie de l’émotion n’est pas immédiat, on perd quelques fragments d’elle, et c’est bien dommage. Mais, nul doute que l’expérience du Festival d’Avignon, où elle se produit depuis le 7 juillet jusqu’au 30 inclus, sera un formidable laboratoire pour ciseler ce seule-en-scène qui ne demande qu’à être poli par les applaudissements.


« Fragments d’Elle »

Textes : Jeanne Feydel
Mise en scène : Sarah Lefèvre
Lumières et sons : La DBoite
Costume personnage : Edith Benjamin Baconnais
Vidéo : Ana Vega
Photos : Sabine Pigalle
Création musicale : Aurore Moutome – MIATH

À 20h00 au Théâtre de l’Observance , 10 rue de l’Observance, à Avignon.
Du 7 au 30 juillet 2017 (relâche le 13 Juillet).

Durée : 1h10.

©Nathalie Gendreau
©Massil Manouche


[wysija_form id=”2″]

1 réflexion au sujet de « “Fragments d’Elle”, un face-à-face en métamorphose »

  1. Comme souvent, la critique de Presta Plume donne envie de voir ou de lire le sujet traité… Mais Avignon est loin de Paris…
    J’attendrais…
    Encore bravo pour cette critique qui parvient à rassembler des “Fragments” pour en faire un “tout” désirable..

    Répondre

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Pin It on Pinterest