THÉÂTRE & CO
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥
On vient rêvant d’un Luchini en fête, on repart avec du Sauton en tête. Un génie pour le prix de deux. Une technicité gestuelle et vocale hal-lu-ci-nante ! Des traits d’esprits qui font mouche, qui scandalisent avec ravissement et démontent les lieux communs avec une arme fatale : la langue française. Le spectacle de et avec Olivier Sauton, au théâtre de L’Archipel, est une exaltation de l’esprit. L’admiration du comédien pour le maître du verbe résonne dans une symphonie solitaire, mais peuplée de talents, avec justesse et tendresse, pour que l’ivresse soit.
Le spectacle « Fabrice Luchini et moi » s’inspire d’un fond de vérité, d’une rencontre improbable à l’heure où les rêves de la nuit d’été passent le relais aux miracles du matin. Une rencontre qui a changé le cours de la vie d’Olivier Sauton, alors promeneur en goguette, croisant place de la Trinité Fabrice Luchini, alors marcheur jusqu’au bout de la nuit. Et la scène inimaginable se produit ! Le premier priant le second de dire une fable de La Fontaine, au débotté. Et « l’histoire vraie qui n’a jamais existé » prend le relais quinze ans plus tard, et Sauton incarne Luchini le temps d’un spectacle aux superlatifs superflus. Trop de mots inutiles nuisent au bel esprit. Un tour de passe-passe lumineux et c’est le signal de la transfiguration physique et verbale. Avec la virtuosité d’un maestro, Olivier Sauton joue l’air et les vers d’un Luchini en pleine forme textuelle : une main au fond de la poche de son veston, l’épaule opposée soulevée par une main incantatoire, l’autre pendante, dans une fière humilité ; l’œil vif écarquillé, qui ne demande qu’à briller ; le sourire large laissant dépasser entre les dents à peine serrées un minuscule bout de langue, la marque du facétieux et du complice prêt à jouer un mauvais tour.
Mais peut-on refuser la culture à un être inculte, insouciant et prétentieux qui veut s’instruire ? Un jeune homme imbu de sa petite personne, allergique aux livres, peu doué pour la comédie mais à l’humour volage, qui s’imagine extraordinaire bien que « crevard de père en fils depuis quinze générations », ne s’animant que pour le sport et les gonzesses… et pour Fabrice Luchini aussi. Son idole dont il aimerait faire son maître à jouer… ou à « déjouer ». Une idée saugrenue qui ne le lâche plus… jusqu’à ce qu’il accepte. Tel est pris qui croyait prendre, Fabrice Luchini envisage d’être le professeur de théâtre d’Olivier Sauton et lui donne rendez-vous. Par défi ? par compassion ? ou parce que « dire des chefs-d’œuvre, c’est mieux que les écouter » ? Ou parce qu’un jour, alors qu’il n’était qu’un jeune con bourrelé d’ignorance, un prêtre lui donna une bible à lire : « Jusqu’au bout de la nuit ».
On croit rêver assis, le dos parcouru de frissons. Le dédoublement Sauton/Luchini, de pied en cap et de chair et d’os, fonctionne à merveille et fait merveille. Luchini est sur la scène, sans y être. Son esprit brillamment railleur et les immenses auteurs qui l’accompagnent sont de la partie. S’installe alors un face à face savoureux entre les deux personnages, un échange passionné et émouvant, assaisonné de répliques à l’impertinence alerte, ciselée, colorée. C’est du plaisir en barre pour les spectateurs qui en veulent toujours plus… du Baudelaire, du Molière, du La Fontaine et qui d’autres encore ! Entre les scènes drolatiques où les vers frayent avec l’argot en bonne intelligence, le spectacle pose des réflexions sur ce monde moderne qui abrite plus de commentateurs que de faiseurs, sur l’apprentissage et la relation maître/apprenti, sur l’universalité de la culture qui n’est pas réservée qu’à une élite, sur le goût du travail acharné dans le plaisir. Un génie n’est-il pas « quelqu’un qui travaille comme tout le monde, mais qui travaille comme personne » ? Une initiation poétique fantasmée en trois leçons qui va révéler Olivier Sauton à lui-même.
Si le monde est rempli de malentendus en raison de mal-dits, comme l’écrit et le dit le comédien Olivier Sauton, son spectacle est un bijou de bien-dits et de bien-pensés, sans fioritures, puisant son inspiration dans le réel et la noblesse d’un art vivant… vivifiant. Un fin observateur moderne, bien ancré dans son temps, même si rattaché à l’encre des classiques, qui ne copie pas du Luchini, qui ne se grime pas en Luchini, mais qui fait partie de cette classe d’êtres sensibles et courageux qui osent poser des questions, car n’est-ce pas « en ayant peur de passer pour un con qu’on le devient ? » Grâce à son audace, Olivier Sauton vit aujourd’hui pleinement ses rêves et ne regrette en rien la rencontre qui lui a donné l’idée de ce spectacle, alors qu’il suivait déjà les cours de Jean-Laurent Cochet. Quinze ans plus tard, il est un talentueux auteur (le livret de la pièce est disponible à la fin du spectacle pour dix euros, aux édition “l’Arche”), comédien, humoriste et professeur de théâtre. Mais, rassurez-vous ! Nul besoin de vous promener dans les rues de Paris, à des heures indues de la nuit, pour oser demander à Olivier Sauton de vous donner des cours. Il suffit d’un clic sur www.courssauton.com pour pousser la porte du Cours Sauton. À vous de jouer… et selon l’exhortation d’Antoine Blondin dont le professeur Sauton a fait sa devise : « Travaille comme tu t’amuses ! »
« Fabrice Luchini et moi »
Pièce écrite, mise en scène et jouée par Olivier Sauton
Au Théâtre de L’Archipel, 17 boulevard de Strasbourg, Paris 10e.
Du mercredi au samedi à 21h00 (séances supplémentaires les samedis à 17h00) jusqu’à fin décembre.
Prix du Public en 2015 au Festival Off d’Avignon
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