THÉÂTRE & CO
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Avis de PrestaPlume ♥♥♥
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Dans « Business Show », à la Comédie Bastille, Esteban démontre par l’exemple personnel le danger d’être soi-même au travail. Si l’hypocrisie ou la retenue prudente n’a pas été acquise au berceau, c’est l’assurance de déconvenues pouvant jeter le pauvre être biologiquement sincère, « trop sensible » ou « trop susceptible », dans la gueule des pervers narcissiques. Porté par un texte acide et ironique de Gaëlle Thomas et de lui-même, Esteban rembobine pour nous un bout de carrière passée en entreprise à courir après les promotions et à s’essouffler, freiné par des vents contrariants… jusqu’au fatidique, inéluctable, prévisible burn out. Loin d’être un effet de mode, ce mal du travail serait plutôt l’effet d’une acculturation professionnelle outrancière, au point de confondre l’avoir et l’être. Peut-être aurait-on trop tendance à penser que le premier serait la clé du bonheur du second, de ce paradoxal développement personnel au travail ?
Stress, harcèlements, tensions… En intégrant le monde de l’entreprise, Esteban était loin de s’imaginer qu’il en baverait autant. Après une nuit à travailler pour sa hiérarchie méprisante, c’est le grand jour pour le bon petit soldat Esteban qui rêve d’une promotion. Il présente un projet capital devant le conseil d’administration. C’est le moment ou jamais de se faire remarquer. En cela, il va y réussir à merveille. Sa fébrilité et son extrême fatigue auront raison de son ambition, réduite en charpies, par un malencontreux problème informatique. Empêtré dans l’émotion de ces délicates secondes de solitude, il voit défiler sa vie professionnelle à la vitesse supersonique, durant laquelle il rejoue les moments clés professionnels qui l’ont conduit à devenir cet être cabossé, sans plus de repères. De son premier stage où un petit chef l’avait pris en grippe à l’assistante de direction hypocrite, en passant par le coach professionnel missionné pour l’amener à cohabiter avec une collègue qu’il ne peut plus encadrer, le comédien incarne une galerie de personnages sans filtre. Par son jeu de l’outrance agitée, il leur fait vomir ces insanités humiliantes qui contaminent au fil du temps la confiance en soi et font tourner la joie intérieure au aigre.
Ajoutés à une mise en scène arrangée tambour battant de Véronique et Romain Rouveyrollis, les arrangements musicaux du DJ Tommy Marcus donnent la pleine mesure de la démesure. Un medley entre la grandiloquence des shows à l’américaine et l’ambiance survoltée des boîtes de nuit. Chaque dimanche soir, Esteban rejoue avec l’amplificateur du rire cette lente descente dans la négation de soi au nom du travail avec la jubilation de celui qui a mis à mort la bête malfaisante. Faisant de la caricature sa marque de fabrique, il se saisit de l’occasion trop belle de la scène pour tirer à boulets de rire sur les peaux de vache au cuir tanné par les mauvais coups reçus et donnés. Le monde impitoyable des relations humaines au travail est décrypté sous le prisme du parti de s’en moquer avec l’énergie d’un ressuscité. Quoique les personnages de ce one-man-show s’expriment en version exagérée, déjantée, le mordant et l’acuité du texte témoignent de la réalité des relations humaines vécues, subies. Un vécu si ordinaire et répandu que ce grand observateur qu’est Esteban mobilise l’empathie du public. Le pouvoir transformateur du rire pour se relever de ses traumatismes n’est plus à démontrer. « Show Business » offre cette salutaire soupape de sécurité où l’on se rit des autres pour mieux évacuer la pression. Ne serait-ce qu’une heure !
Nathalie Gendreau
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Distribution
Avec : Esteban.
Créateurs
Auteurs : Esteban et Gaëlle Thomas
Mise en scène : Véronique Mucret-Rouveyrollis et Romain Rouveyrollis
Musique : DJ Tommy Marcus
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Photos : Caroline Moreau
Représentation annulée.
À la Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, Paris XIe.
Durée : 1 heure.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Belle chronique pour “Esteban” qui traite d’un sujet de plus en plus à la mode. .. hélas !!! Une autre approche du fameux débat “Avoir ou être” qui agitera nos méninges jusqu’au … burnout.