“Est-ce ainsi que les hommes jugent ?”, Mathieu Ménégaux

Temps de lecture : 2 min

 

Extrait

“Avouer.
Limiter la casse. Il est foutu, pris dans la nasse, coincé dans l’étau judiciaire. Tout le désigne, il va être déféré, jugé, condamné, envoyé au bagne, aux galères, en prison. Derrière des barreaux, en compagnie de criminels endurcis, à la merci de surveillants sans scrupules. Quelle peine pour tentative d’enlèvement et un homicide volontaire ? Et s’il avouait ?” (Page 173.)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Troisième roman de Mathieu Ménégaux, “Est-ce ainsi que les hommes jugent ?” plonge une nouvelle fois son thème narratif dans les mâchoires broyeuses d’un destin facétieux. N’y a-t-il pas pire cauchemar d’être accusé à tort ? de se sentir acculé par des preuves indiscutables ? de remettre en question sa propre innocence à force de matraquage policier ? Au point d’être prêt à avouer un crime qu’on n’a pas commis ! Pour Gustavo Santini, fils d’immigrés argentins dont le père a été torturé, l’arrestation à son domicile dès potron-minet, la perquisition énergique, l’interrogatoire accablant et l’accusation de la victime, c’est surréaliste, inimaginable, effroyable. Mais quand les médias et les réseaux sociaux se déchaînent sur le coupable désigné, le cauchemar devient l’enfer ! D’une plume efficace, saisissante dans son dépouillement, Mathieu Ménégaux s’insinue dans l’intimité des protagonistes, chacun avançant dans sa vérité, convaincu de son plein droit. Il n’y a pas de méchants ni de gentils, il y a la vie et ses coïncidences qui ne sont pas toujours merveilleuses.

Gustavo Santini est un homme ordinaire, un mari aimant, scrupuleux de la loi, un cadre dynamique. D’ailleurs, il vient d’être promu directeur financier de la filiale française d’un grand groupe pharmaceutique suisse. Or, c’est le jour de sa présentation du projet d’acquisition que le SRPJ de Versailles s’introduit dans son domicile. Cette intrusion est vécue par le couple Santini comme une violation de leur intimité. Aucune humiliation ne leur sera épargnée. Les policiers sont certains d’avoir mis la main sur le meurtrier qu’ils recherchent depuis trois ans. Après avoir tenté d’enlever une jeune fille, Gustavo aurait volontairement écrasé le père qui s’était mis au travers de sa route un samedi matin… Incrédule, mais trop préoccupé par sa présentation, le directeur financier n’a pas conscience de la gravité des accusations, puisqu’il est innocent. Il le sait, lui, qu’il n’a rien fait ! Seulement voilà, il a la même voiture que le meurtrier, dont il a fait changer une aile à la suite d’un choc… le même jour que la tentative d’enlèvement. Rien qui ne peut plaider en sa faveur !

Avec Mathieu Ménégaux, le plaisir de lecture est au rendez-vous : chaque fois renouvelé et pourtant si différent. La tragédie en ligne directrice, il manie son sujet avec une implacable efficacité. L’injustice fait son office, l’issue paraît claire comme de l’eau de roche. Et si un grain de sable s’insinuait, par miracle, dans cette mécanique si bien rodée que l’auteur s’ingénie à décortiquer ? Le lecteur ne se le demande pas, il se laisse porter par ce courant de preuves qui précipitent le coupable désigné dans le désespoir. Il est avec lui, le cœur se débattant dans les affres de l’incompréhension. Car, malgré la gravité de la situation, l’homme reste obnubilé par son rendez-vous professionnel. Ce décalage dans l’appréhension des événements donne à la narration une réelle force. L’éclairage sur les pensées des protagonistes augmente plus encore ce contraste, où s’opposent le désir de justice, voire de vengeance, des uns et le combat épique de l’innocence impuissante des autres. Puissant, captivant, et très actuel, ce roman interroge aussi les dérives potentielles de certains utilisateurs des réseaux sociaux si prompts à lyncher au nom de l’empathie.

Nathalie Gendreau

 

Éditions Grasset, mai 2018, 226 pages, à 18 euros.

 

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