“En haut de l’affiche”, Fabrice Châtelain

Temps de lecture : 3 min

Extrait
“D’une façon plus générale, il en vint à penser qu’on entend des mots pendant des années sans se poser de questions sur leur signification réelle. Le langage lui semblait soudain constituer un monde parallèle qui transforme la perception du monde.”

“En haut de l’affiche”, Fabrice Châtelain

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

À quelles compromissions est-on prêt pour se hisser « En haut de l’affiche » ? Dans le premier livre de l’avocat Fabrice Châtelain, paru aux éditions Intervalles, vous le saurez… le sourire aux lèvres. Délicieuse satire du milieu cinématographique, ce roman joue sur des quiproquos qui tombent en rafales et entraînent Vincent, ce héros malgré lui, dans une spirale descendante. Auteur d’un scénario, cet être bourrelé de complexes rêve de célébrité. Il croit y parvenir lors d’un vernissage d’art contemporain, où il espère briller au bras de la séduisante et ambitieuse Noémie qui le prend pour un grand critique d’art free-lance. Dans son roman, Fabrice Châtelain porte un regard cru et acerbe sur les milieux du cinéma et de l’art contemporain tout en se faisant le procureur de ces prétendus artistes enflés de pouvoir, imbus d’eux-mêmes, rompus aux faux-semblants et aux artifices. Il nous les montre en flagrant délit de déconnexion de la réalité, coupables au point de se servir du malheur de la société pour l’emballer dans du politiquement correct nauséabond et ridicule. Les personnages sont truculents, tantôt attendrissants, tantôt pitoyables, à la moralité à géométrie variable. Bref, terriblement humains. Le traitement original du sujet et l’inclémence du propos, amplifiés par un style au couperet, transforment ce coup d’essai en un très agréable moment de lecture.

Résumé

Vincent se rêve scénariste reconnu. Pour le devenir, il mise sur son scénario de film qu’il vient d’achever  : un road-trip aux confins de l’Asie, à la rencontre de peuplades qui vont faire grandir un héros solitaire. Dans l’attente de convaincre un producteur, il est vendeur de produits d’entretien à l’essai, cornaqué par Joseph Paillard, un commercial graveleux et fier de l’être. Vincent est à la fois dérouté et écœuré par le personnage, bien qu’une part de lui l’admire. Son assurance l’indispose, car elle le met face à sa timidité et à ses doutes. Il n’a ni le physique avantageux de Paillard ni son verbe haut et persuasif. Pour amoindrir cette « tache » sur son CV d’artiste, il compartimente les deux univers. Sauf qu’une banale clé à restituer va rendre poreuse cette mince frontière. L’arrivée imprévue de Paillard lors d’un vernissage d’art contemporain où Vincent était invité avec sa nouvelle petite amie, la si jolie et intellectuelle Noémie, va le précipiter dans une série de mensonges. Pour elle, il sera donc un critique d’art free-lance en recherche d’un producteur pour son scénario. Son audace est payante. Tout semble lui sourire  : l’amour et la réalisation de son projet. Mais jusqu’à quand ?

Pour approfondir

Le roman « En haut de l’affiche » est décrit comme une satire facétieuse. Elle l’est, sans conteste. Maniant l’humour noir comme le vitriol, Fabrice Châtelain épingle dans son cabinet de curiosités sociétales de beaux spécimens, dont l’extravagance est à peine caricaturée. En haut de l’affiche, ce monde artistique pétri de vanité, qu’une main chanceuse a porté aux nues de manière aléatoire et a authentifié « œuvre » un art contemporain improbable et provocateur, est disséqué sans complaisance et avec un plaisir assumé. L’auteur égratigne non sans raffinement ces artistes qui, sous prétexte de montrer la voie, accréditent leur art d’un acte politique. Quant à Vincent, le personnage central, celui par qui tout commence, Fabrice Châtelain l’a voulu victime. Victime de son ambition aveuglante. Victime de sa timidité discriminante. Victime des autres pour avoir osé croire en soi. Complaisamment, il se fera maltraiter, houspiller, humilier, et laissera son « œuvre » se faire dépecer par un producteur qui manie un sadisme grossier et implacable. Notre anti-héros endure tout parce qu’au bout du chemin de Croix la renommée scintille. Enfin, le pensait-il jusqu’à ce qu’une claque retentissante le replace dans l’axe de son véritable destin. Une belle et cruelle leçon d’humilité.

Nathalie Gendreau

Éditions Intervalles, 20 mars 2020, 224 pages, à 17,90 euros en version papier et 11,99 euros en version numérique.

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