“En attendant Bojangles”, Olivier Bourdeaut

Temps de lecture : 3 min

 

EXTRAIT

“Mes parents dansaient tout le temps, partout. Avec leurs amis la nuit, tous les deux le matin et l’après-midi. Parfois je dansais avec eux. Ils dansaient avec des façons vraiment incroyables, ils bousculaient tout sur leur passage, mon père lâchait ma mère dans l’atmosphère, la rattrapait par les ongles après une pirouette, parfois deux, même trois. Il la balançait sous ses jambes, la faisait voler autour de lui comme une girouette, et quand il lâchait complètement sans faire exprès Maman se retrouvait les fesses par terre et sa robe autour, comme une tasse sur une soucoupe. Toujours, quand ils dansaient, ils se préparaient des cocktails fous, avec des ombrelles, des olives, des cuillers, et des collections de bouteilles. Sur la commode du salon, devant un immense cliché noir et blanc de Maman sautant dans une piscine en tenue de soirée, se trouvait un beau et vieux tourne-disque sur lequel passait toujours le même vinyle de Nina Simone, et la même chanson  : “Mister Bojangles”.”

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Avec “En attendant Bojangles”, premier roman aux nombreux premiers prix, Olivier Bourdeaut s’empare de la folie pour l’habiller d’une poésie délirante à deux voix, celles du fils et du père. Il l’invite en musique à rentrer dans la danse d’une vie rêvée sur une partition menée tambour battant. Dès les premières notes, le ton et le rythme imposent une mélodie étrange, attachante, captivante. Le lecteur est propulsé dans l’univers de cette famille survoltée, où la vérité se travestit de bonne foi de mensonges et d’histoires à dormir debout, où la fête perpétuelle a viré le quotidien à grands coups de rires et d’argent, où l’amour règne en dictateur joyeusement irresponsable, comme s’il pouvait n’exister rien d’autre sur terre qu’eux trois.

C’est dans ce tourbillon étrange et éperdu que le narrateur raconte ses parents, et sa vie particulière à leurs côtés, avec la simplicité et la naïveté de l’âge. Une enfance passée entre deux êtres animés d’une passion fusionnelle. Entre une mère extravagante qui conduit le bal de la vie sur un air d’En attendant Bojangles, jusqu’au sifflet du fisc qui poussera l’exubérance aux portes de l’asile, et un père, fougueux mari, un Don Quichotte fou par adoption ou par solidarité pour rire encore plus avec sa magnifique Dulcinée pour qui il fera construire un château en Espagne.

Le Père dans sa vie avait fait le métier de chasseur de mouches au harpon. Dès les premières lignes, le drame transparaît. Clair. Nu. Implacable. Comme une mouche transpercée par un harpon. Le drame s’insinue, avec la légèreté de l’inconcevable. C’est comme une petite musique lancinante, grave, sourde, comme un petit quelque chose qui grince à l’oreille délicate que cette joie débordante circonscrite à la famille – et au seul véritable ami M. Ordure – ne peut plus durer, que c’est bien joli tout ça, mais qu’un jour il faudra bien payer et que la richesse dépourvue de scrupules tourne vinaigre un jour ou l’autre, et que, fatalement, ce drame prendra au dépourvu ceux qui s’étaient vaccinés contre l’étroitesse d’esprit.

L’imaginaire décalé d’Olivier Bourdeaut fait virevolter une écriture qui s’élève tantôt par d’enivrants soubresauts, tantôt par de délicieux petits pas chassés, sans s’essouffler une seconde. Le Diable n’y est pour rien. C’est la petite musique personnelle de l’auteur, berceuse de l’imaginaire, qui nous entraîne sur son sillage poétique et métaphorique. Elle nous pousse dans les bras de cette famille tendrement loufoque, portant l’amour aux nues jusqu’au sacrifice à l’autel de la réalité. Heureusement, si le plaisir de lecture est bien réel, les belles illusions n’en sont pas moins sauvegardées  !

 

Éditions Finitude, janvier 2016, 160 pages 15,50 €.

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