“Écrire sa vie”, Philippe Lejeune

Temps de lecture : 2 min

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Rencontre Auteur

 

Écrire sa vie, l’écriture de soi en “je”

 

Ah ! Écrire sa vie… Qui n’en a jamais rêvé ? En secret ou à la cantonade. Sous forme de notes fragmentées, d’un journal personnel, d’un récit linéaire ou sinueux. Certains sont passés à l’acte, d’autres l’imaginent, le reportent, l’oublient. Mais ils sont encore nombreux à s’y frotter, à débroussailler des pans de vie, à retrouver ce “je”, sincère et véritable, dans les “brouillons de soi”, ces pistes à dégager, à baliser, à déconstruire pour reconstruire sa vie repensée. Qu’importe l’immensité de la tâche, pourvu qu’on ait la postérité !

Mais, où en est aujourd’hui l’autobiographie ordinaire ? Qui d’autres que Philippe Lejeune pourrait mieux y répondre ? Lui qui a consacré son existence à ces écritures personnelles et qui s’est nourri de cette passion pour rendre le “je” tout à fait fréquentable auprès de ses pairs. Dans les années 60, ce chercheur et professeur à l’Université Paris-Nord encourage l’autobiographie pour déraciner les préjugés de cette époque où parler de soi était haïssable et pour faire reconnaître la valeur de l’écriture autobiographique. Ils étaient légion les auteurs qui pensaient que l’autobiographie n’était pas une création. La meilleure marque de réussite de Philippe Lejeune n’est-elle pas que l’autobiographie, depuis 2001, est l’un des cinq sujets de littérature qui s’étudient en classe de Première ?

Le dernier opus de Philippe Lejeune “Écrire sa vie – du pacte au patrimoine autobiographique” retrace à travers cinq textes récents son itinéraire de chercheur et d’inventeur avec la fluidité de « l’amoureux des écritures ordinaires », sans se départir d’un humour bienveillant, et revient quarante-et-un ans plus tard sur sa définition du Pacte autobiographique (Seuil, 1975) « l’engagement que prend une personne réelle de parler sur soi dans un esprit de vérité ». L’auteur ne flirterait-il pas sans en avoir l’air avec l’autobiographie, même s’il s’en défend, le sourire en connivence ?

Peu importe, dans cet ouvrage… d’analyse rétrospective, l’on découvre avec bonheur comment le théoricien du Pacte autobiographique est conduit à l’action, tout naturellement, en créant en 1992 l’Association pour l’Autobiographie et le Patrimoine autobiographique (APA – www.sitapa.org). Une association qui rassemble à Ambérieu-en-Bugey, près de Lyon, les « œuvres » personnelles inédites des écrivains anonymes (journal intime, mémoires, récit autobiographique, correspondances, autofiction). L’espace s’impose aujourd’hui comme un gigantesque centre d’archives autobiographiques qui vit et palpite au gré des 150 nouveaux témoignages personnels par an qui s’échouent sur cette terre d’asile qui s’emploie si bien à leur insuffler une seconde vie. En 2015, ce sont près 3 500 manuscrits d’une grande diversité qui ont été triés et lus « en sympathie », selon la formule de Philippe Lejeune, par les quelque dizaines de bénévoles dont « le but n’est pas de découvrir des chefs-d’œuvre, mais de percevoir avec netteté comment la personne a rendu compte de sa vie ». Les écrits font ensuite l’objet d’un compte rendu, puis sont archivés. Ils sont rendus publics ou pas selon le désir du déposant. C’est une reconnaissance pour ces anonymes dont les textes sont accueillis sans jugement, mais c’est aussi un vivier d’histoires de vie, témoins indiscutables de la société française du XXe siècle, formant le patrimoine social et culturel des générations futures, socle de l’identité.

Et, selon Philippe Lejeune, ce vivier ne se tarira pas, malgré les blogs et autres réseaux sociaux. Ces nouvelles pratiques de l’instantanée se complaisent dans l’immédiat et dans le court, elles participent de la sociabilité. Gageons donc que l’écriture de soi qui se fonde sur la longueur a de beaux jours devant elle et déclenchera encore bien des passions et des recherches.

Éd. du Mauconduit, mai 2015, 128 pages, 13 €.

 

2 réflexions au sujet de ““Écrire sa vie”, Philippe Lejeune”

  1. Il y a encore mieux que “Ecrire sa vie”. C’est quand quelqu’un raconte votre vie. C’est le cas de la jeune Ariane Grimm qui a vécu avec sa mère, normal! direz-vous, en l’aimant avec passion et en la haïssant avec une haine profonde. Cette histoire de passion et de haine est même devenu un bouquin: La Flambe, d’Ariane Grimm, publié chez Belfond en 1987, et réédité en Poche chez J’AI LU en 1988.

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  2. Un excellent livre à l’image de son auteur: généreux, érudit, agréable à lire. Une écriture riche qui nous emporte, qui nous captive – on lit les livres de Philippe Lejeune avec plaisir, et on en sort plus ouverts, presque plus intelligents. Et j’admire le travail immense qu’il a fait comme théoricien du genre autobiographique, puis pour constituer APA et le patrimoine autobiographique d’Ambérieux. L’auteur est modeste, comme souvent. Je salue cette parution (avec bien du retard, je le reconnais).

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