PORTRAIT PASSION
par Nathalie Gendreau
Dominic Lamblin et les Rolling Stones, deux destins scellés dans un même amour de la musique, de la vie de jet-setter, du travail acharné et de la fureur de survivre à tous les excès. Deux trajectoires au parcours parallèle aussi bien dans l’ascension des sommets que dans les traversées du désert. La confiance qui s’instaurera dès leur première rencontre en octobre 1964 ne se démentira pas durant quatre décennies de collaboration intense et enfiévrée. La longévité de Dominic Lamblin et du groupe rock est un miracle, merveilleux ou sulfureux, c’est selon, que l’auteur fait revivre avec joie et prodigalité dans son livre « Satisfaction – Comment j’ai survécu à 40 années avec les Rolling Stones », paru en octobre 2016, aux éditions Larousse. Portrait d’un homme fataliste et chanceux, dont la seule constante dans la vie a été les Rolling Stones. Un mariage musical inclassable !
« J’ai eu la vie d’un baby-boomer chanceux ! », déclare d’emblée Dominic Lamblin, qui a toujours eu la lucidité de reconnaître qu’il a souvent été au très bon moment au très bon endroit. Si à 19 ans on lui avait proposé le marché faustien suivant : « Tu auras une vie géniale, tu gagneras bien ta vie, tu auras des femmes formidables, tu travailleras avec des gens exceptionnels, mais tu vivras trois années difficiles », il aurait répondu « Où dois-je signer ? » Aujourd’hui vaillant septuagénaire, il aurait encore signé avec le même empressement, les yeux fermés et « les oreilles pleines de miel ». Il rejouerait sans trembler sa partition composée de feu et de force, de rebonds et d’instinct, de fulgurance et de décadence, de mariages et de divorces, de réussites et d’échecs, d’enthousiasme délirant et de dépression constructive. Il la réécrirait à la note près, aussi bien les justes que les dissonantes. Mais, au fond, qu’est-ce qu’une note dissonante quand elle est interprétée par un alchimiste talentueux qui sait transformer l’intuition en disques d’or ?
Une signature originale, pardi ! Avec « Satisfaction – Comment j’ai survécu à 40 années avec les Rolling Stones », qui vient de paraître chez Larousse, et co-écrit avec le journaliste François Salaün, c’est une signature inédite qui se fait jour, belle et vibrante comme un riff éternel. Sous une plume sincère et bienveillante, où chaque fait est prouvé par un document ou une photo, l’interlocuteur business privilégié des Rolling Stones en France relate une carrière de cadre de l’industrie musicale au plus près du groupe mythique, aussi bien dans l’intimité de leurs enregistrements et des soirées overdosées que dans leur exubérance outrée sur les scènes européennes. Il croque aussi des morceaux croustillants et tendres de vie d’autres artistes dont il s’est occupé, comme Led Zeppelin, Giorgio Moroder, Sparks, Michel Berger, Véronique Sanson, etc., sans oublier d’y associer les grands noms du métier, comme le producteur de disques Daniel Filipacchi, le fondateur de label Claude Carrère ou encore Bernard de Bosson qui a été notamment patron de Kinney Filipacchi Music, rebaptisée WEA.
Ce livre n’aurait sans doute jamais vu le jour si le journaliste François Salaün n’avait pas insisté auprès de Dominic Lamblin. En décembre 2015, Facebook joue le rôle d’intermédiaire. Bien que tenté par l’aventure d’un livre, Dominic Lamblin ne souhaitait pas revivre l’expérience précédente en 2012, un énorme projet de livre sur les Rolling Stones, qui s’est effondré au dernier moment, lâché par l’éditeur. Les deux protagonistes se sont cependant rencontrés, ils se sont plu, et ils ont décidé d’écrire ensemble quatre chapitres « pour voir ». La collaboration fut concluante et soutenue par l’éditeur Larousse. En revanche, hors de question de quémander aux artistes un petit mot. « Si nous l’avions fait, annonce l’auteur, j’aurais perdu ma liberté de ton. L’avocat des Rolling Stones aurait exigé de lire le livre, ce qui aurait impliqué une traduction, avec le risque qu’il s’arroge le droit d’enlever telle ou telle partie du texte. »
Avec ce magnifique ouvrage, son intention était claire et sans bavure. « Je voulais montrer à la nouvelle génération l’effervescence de cette période des années 60 et 70, explique Dominic Lamblin. Il y a en ce moment une fascination pour cette époque bénie, excitante et sulfureuse qui intrigue. » Une fascination qui est arrivée tout droit des USA et qui s’appelle le rock’n’roll. L’Amérique, et New York en particulier, exerçait une immense fascination sur toute une jeunesse française qui rêvait de s’y perdre, corps et âme au son endiablé du rhythm and blues et du rock. Alors étudiant, Dominic Lamblin a eu la chance de faire dix fois la traversée sur un transatlantique, grâce à ses parents, pour y parfaire son anglais. Précaution sage et prémonitoire. Sans un anglais fluent, jamais Helyett de Rieux, directrice de Sofrason, qui distribue en France les disques du groupe encore inconnu des Rolling Stones, et accessoirement mère d’un de ses amis, ne lui aurait jamais confié la tâche ardue de s’occuper de ces cinq jeunes échevelés anglais qui se donnaient des airs de mauvais garçons. Il y avait alors le guitariste et leader original Brian Jones, le chanteur Mick Jagger et le guitariste Keith Richards, le batteur Charlie Watts et le bassiste Bill Wyman. Une expérience déterminante, seulement possible parce que les cadres de Sofrason ne se sentaient pas de frayer en si mauvaise compagnie.
Et c’est sûrement grâce à cette fascination inouïe, malgré les vicissitudes et les coups du sort, bien aidés par les excès de boisson et de drogue, les déchirures internes et les batailles d’égo, que le groupe est toujours debout, prêt à se défoncer sur scène pour un public joyeusement extatique. « Leur force est que leur musique est multigénérationnelle, s’anime Dominic Lamblin. Le 13 juin 2014, lors de leur dernier concert, un gamin de 3 ou 4 ans s’agitait sur les épaules de son père en chantant les paroles. Il y avait aussi des gens de mon âge qui retrouvaient leur jeunesse. Je suis très fier que les artistes qui attirent le plus de monde soient ceux de ma génération. »
L’ex-label manager des Rolling Stones chez WEA ne veut pas donner l’impression de jouer l’ancien combattant avec la ritournelle du « c’était mieux avant ». Mais, pour lui, la musique actuelle est moins inspirée, plus formatée. Une musique qui ne suscite pas l’envie de pousser le son à son maximum, de l’écouter avec ses tripes, comme il pourrait le faire pour Satisfaction, bien évidemment, ou pour Gimme Shelter, sa chanson préférée des Stones. « C’est une chanson emblématique, poursuit l’inconditionnel toujours en veine d’anecdotes, c’est la plus puissante, la plus extraordinaire. Elle démontre que Keith Richards a atteint sa pleine maturité en tant que compositeur et guitariste. Il l’a écrite dans sa voiture, en attendant sa femme Anita Pallenberg et Mick Jagger devant le studio où ils tournaient “Performance”, alors qu’il savait qu’ils fricotaient un peu ensemble ».
En revanche, le groupe peut compter sur la fidélité du public qui se rue après plus de cinquante ans de carrière dans tous les Virgin Megastores et assimilés pour acheter des places. En quelques minutes, il n’y a plus rien. Qui dit mieux ? C’est qu’une fois sur scène les Rolling Stones se donnent à fond, ils dégagent une énergie phénoménale et un charisme inégalé, hors du commun, inimaginable. Et les mots sont faibles. C’est ce que le public aime et ce qu’il attend. Il n’y a que de la joie et de la bonne humeur. Il n’y a pas de triche, même si les stigmates physiques d’années d’abus de toutes sortes sont apparus plus cruels et douloureux. « Heureusement qu’il y a Mick pour assurer, fait remarquer Dominic Lamblin. La voix de Keith déraille et ses mains sont déformées par l’arthrose. Ses phalanges ont doublé de volume. Mais ô miracle, il peut encore jouer de la guitare ».
Vaille que vaille, les Rolling Stones sont toujours là, ils prennent du plaisir à jouer ensemble, à créer, enregistrer et repartir en tournées après une longue pause. La recette de leur longévité vient peut-être aussi de là. Ils savent se quitter pour mieux se retrouver. « Il faut voir les Rolling Stones comme une grosse PME qui génère pendant deux ans de l’emploi à 200 personnes et des revenus », informe Dominic Lamblin. Dans son autobiographie, Keith raconte que cela fait des années qu’il ne voit plus Mick en dehors des concerts. « Les concerts sont leur lieu de travail et chacun voit l’autre comme un collègue, poursuit-il. Imaginez-vous, fréquenter les mêmes personnes pendant 50 ans ! » C’est grâce à ces échappées que le groupe forme une unité indissoluble. D’ailleurs, les rares velléités de se la jouer solo ont échoué. « Si Mick Jagger avait eu du succès, c’en aurait été fini des Rolling Stones, professe-t-il encore. Et ils ne s’apprêteraient pas à décrocher le record de la longévité. C’est l’un de leurs moteurs, parce qu’ils ont bien compris que la première place du meilleur groupe de tous les temps est prise par les Beatles. »
Dominic Lamblin est intarissable sur les Rollings Stones et leur discographie, mais son livre est aussi un concentré de souvenirs personnels. « J’ai insisté pour raconter ce qu’a été ma jeunesse », souligne-t-il, se remémorant avec émotion cet étudiant de 19 ans qui n’entendait rien d’autre que la musique venant d’outre-Atlantique et qui ne serait ni avocat ni agent de change, comme son milieu social aurait pu le destiner. Au lieu de cela, il suivra la voie du rock’n’roll, au grand dam de ses parents, déçus par ce choix peu conventionnel. C’est que dans le corps aux abords bon chic bon genre du fringant Dominique brûle un feu intérieur ravageur. Il va commencer par consumer le « que » de son prénom, trop connoté féminin aux USA, « the place to be » où il se forgera un prénom d’airain « Dominic », histoire de « donner une petite note US au Gaulois que je suis ».
Ce Gaulois qui parle parfaitement bien l’anglais, qui a le même âge et les mêmes goûts musicaux, aimant faire la fête plaît au groupe outre-Manche. Et ce sera, non pas une amitié, mais une sorte de camaraderie basée sur la confiance. « J’ai toujours su où étaient les limites à ne pas franchir, avance le producteur de disques. Je faisais partie des meubles. Beaucoup de mes pairs se sont mépris sur les artistes, on n’est pas leurs amis, on ne le sera jamais. » Pourtant, dans les débuts, alors qu’ils n’étaient pas encore des stars, Dominic possédait leurs numéros de téléphone. Aujourd’hui, l’entourage des Stones qui le connaissait s’étant dispersé, il n’a quasi plus de contact direct ni indirect, et il n’est pas dans sa nature de quémander. Il se souvient d’une mésaventure qu’il ne réitérera pas de sitôt : « En 2014, à la galerie parisienne Blumann (désormais Black Gallery), j’ai exposé des photos des Rolling Stones prises sur le vif lors de concerts et de répétitions. C’était en mai et le groupe était justement en France. J’ai alors souhaité offrir à Keith Richards et Charlie Watts un cliché d’eux. J’ai dû appeler leur manager à New York pour que la direction du George-V daigne accepter de les leur transmettre. »
Si s’occuper des Stones et les côtoyer pendant quarante ans a été une aventure inoubliable, il fallait quand même avoir une santé de fer. Les suivre dans leurs délires et leurs excès n’était pas de tout repos. C’était un temps où le Jack Daniel’s et l’argent coulaient à flots, et la coke et l’héroïne fouettaient les esprits avant de les anesthésier. Tout le monde ne peut pas s’appeler Keith Richards ! « Il a une constitution hors du commun ! s’émerveille Dominic Lamblin. Qui peut s’offrir le luxe de ne pas dormir pendant trois jours, de se piquer à l’héroïne et de fumer trois paquets de clopes ? Beaucoup y ont laissé la vie dans leur sillage. Avec ces artistes, on est sur une crête. Si l’on tombe du mauvais côté, c’est une pente douce qui vous emmène vers une spirale infernale. » Dominic Lamblin y a pris part, comme beaucoup. « C’était inévitable de tomber dans le piège comme il est inévitable pour un chauffeur de taxi d’avoir un accrochage un jour ou l’autre. » Heureusement, il a su tirer les leçons des exemples qu’il avait autour de lui. Cocaïnomane depuis 1974, il arrive à décrocher en 1986.
En fait, c’est le surmenage qui aura raison de lui et de son mariage. Sa vie semble s’effriter. Il en est à son troisième divorce, il est ruiné et sans boulot, il emménage alors dans un nouvel appartement et c’est la dépression qui s’installe. « Je travaillais dur, jusqu’à 20 heures par jour, se souvient-il. Après mon divorce, je me retrouve seul dans cet immense appartement entouré de cartons, ça m’est tombé dessus, comme ça. J’ai mis un an à me relever. Mais je suis chanceux, car fataliste. J’ai pris les choses avec philosophie et, surtout, j’avais avec moi Jumping, mon labrador. » C’est à la fin 2005 qu’il entrevoit le bout du tunnel. Enfin à la retraite, l’homme qui a consacré sa vie à la musique digitalise toutes ses photos, passe sa discothèque en MP3 et écrit l’histoire de sa vie professionnelle, qui met en évidence une trajectoire semblable à celle des Rolling Stones aussi bien dans les réussites que dans les épreuves, excepté l’année 67. Cette année-là, alors que les débuts professionnels de Dominic Lamblin part sur les chapeaux de roues chez DECCA, il plane une sérieuse menace judiciaire sur Mick, Keith et Brian, inculpés pour détention et consommation de drogues. Leur condamnation et leur emprisonnement signeraient l’arrêt de mort des Rolling Stones.
2016 renoue avec les années fastes. La parution du livre de Dominic Lamblin coïncide avec une forte actualité du Groupe mythique. Le film live des Rolling Stones « Havana Moon », enregistré lors du concert historique à La Havane (25 mars 2016), sera en vente dès le 11 novembre. Le 2 décembre, dix ans après « A Bigger Bang », ils sortiront leur nouvel opus « Blue & Lonesome », douze reprises de classiques du blues enregistrées en seulement trois jours au British Grove Studio, à Londres. « Just your fool », un titre dans lequel Mick Jagger joue divinement de l’harmonica, est disponible en pré-commande. Une rumeur circulerait qu’un album de chansons originales serait en préparation, ainsi qu’une tournée en Europe. « J’y croirais quand je le verrais, prévient Dominic Lamblin, prudent. Mais il ne faut pas oublier que c’est un groupe anglais et fier de l’être. Je ne les vois pas terminer leur carrière ailleurs qu’à Londres. » Mon petit doigt me dit que la fascination pour les Rolling Stones n’est pas prête de faiblir et que Dominic Lamblin n’a pas encore tout dit !
“Satisfaction – Comment j’ai survécu à 40 années avec les Rolling Stones”, Dominic Lamblin, éditions Larousse, octobre 2016, 350 pages, 19,95 €.
[wysija_form id=”2″]
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Merci Presta Plume pour la grande “Satisfaction” apportée par la promesse de ce livre. J’ai déjà rajeunit de 50 ans. Je pense que j’ai dû rencontrer Dominic Lamblin lors de mes pérégrinations parisiennes dans les années 60, 70 et… au delà. Je vais vite à la librairie Le Divan chercher cet élixir de jeunesse qui va m’aider à épousseter mes souvenirs…
Michel