“Dîner de famille”, un bouquet explosif d’humour et de tendresse

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 


Il est des repas de famille qui virent au drame et aux larmes. Les rancœurs, les jalousies, les non-dits et l’indifférence sont autant de sujets de dispute. Par son universalité, le thème parle à tous. Sous les feux du théâtre Edgar, Dîner de famille de Pascal Rocher et de Joseph Gallet est tout sauf une énième comédie sur les relations familiales. Les deux coauteurs, en fins observateurs, ont puisé dans le magasin des blessures narcissiques pour écrire un scénario crédible, et puissamment soutenu par l’énergie de l’humour en perpétuel décalage. Le texte met en scène un trio de personnalités bien tranchées : un fils jeune adulte, abandonné par son père à six mois et délaissé par sa mère qui a recomposé de son côté une grande famille. Alexandre – joué ce soir-là par Arnaud Laurent – invente un stratagème pour faire venir ses parents le jour de ses trente ans. Seulement ces derniers, qui se sont vus trois fois en trente ans, ne sont pas au courant de la présence de l’autre. Béatrice (Carole Massana) n’a jamais pardonné à son ex-mari (Emmanuel Donzella) de l’avoir quittée… pour un autre homme. Sur le papier, le pitch promet un dîner explosif ; sur la scène, la force comique des comédiens emporte tous les rires dans leur si doux délire !

Alexandre a trente ans, il va se marier. Son plus grand bonheur serait d’être entouré ce jour-là par ses deux parents, ce qu’il n’a jamais vécu. Une réconciliation n’est même pas envisagée, mais une tolérance polie serait fortement appréciée. Sauf que le passif est bien trop lourd à porter. Alexandre n’a jamais connu l’unité d’une famille. Il s’est senti rejeté depuis son enfance. Tout d’abord par son père, un animateur de téléréalité plus intéressé par les mondanités et l’audience de son émission “Vis ma vie” qu’à lui apprendre à faire du vélo. Ensuite par sa mère qui a délaissé son enfant, être innocent, mais somme toute indésirable, pour se consacrer à sa nouvelle famille composée d’un mari volage et de trois enfants accapareurs de temps. Sans soutien affectif, Alexandre tergiverse en tout dans sa vie, jusqu’à cette fameuse – et première véritable – décision de mettre en présence ses incorrigibles parents face à leurs reproches et leurs contradictions. Pour les faire venir chez lui, il ment effrontément. À sa mère, il dira qu’il a une entorse ; à son père, qu’il lui reste six mois à vivre. Mais l’émotion est telle qu’il s’emmêle et béquilles et mensonges… jusqu’à la confrontation de tous les dangers !

Un Dîner de famille réussi ! Tous les ingrédients d’un bon divertissement se sont invités à la table du comique. Thème fédérateur, qui lie les générations entre elles, personne ne peut se sentir exclu de cette histoire sur le rejet, le poids des regrets, les dégâts de l’amertume et de la rancune. D’un drame familial les coauteurs ont extrait un bouquet complexe de tendresse et de cocasseries qui l’arrondissent jusqu’à la légèreté. Si des larmes pointent, elles viennent du rire. Certaines situations soulignées au stabilo du burlesque prennent une couleur irrésistible. La mise en scène de Pascal Rocher, assisté de Joris Donnadieu, dose à bon escient sa palette de coloris émotionnels. À travers les jeux de mots jetés à grands traits humoristiques, c’est la sensibilité de tous les personnages qui transperce. Mauvais parents, mais parents attachants qui ont agi comme ils ont pu, avec ce qu’ils étaient alors, et qui sont devenus ce qu’ils ont pu. Accrochés au rêve d’un passé différent.

Donc, des personnages cabossés aux émotions exacerbées, magnifiquement exprimés par des comédiens généreux. Carole Massana rend Béatrice très émouvante, malgré son affreux caractère. L’impression d’une vie gâchée fouette sa verve, aux paroles intarissables, excessives et catégoriques. L’outrance de son débit, soutenue par un festival de mimiques à la De Funès, en fait une bombe comique à répétitions. À l’opposé, Emmanuel Donzella est dans la mesure et la retenue, donnant à son personnage pétri d’embarras et de culpabilité un détachement attendrissant. Mais sa parole, soudain libérée, suscitée par la tornade vocale de son ex-femme, va s’affirmant, galopant dans les souvenirs d’un passé qui aurait pu être différent, si lui-même avait été différent. Entre les deux, leur fils de trente ans, incarné avec force de conviction par un Arnaud Laurent éruptif, ne souhaite qu’une chose : que ses parents deviennent le témoin de sa vie, au-delà du mariage. C’est alors qu’un autre mariage se prépare devant nous : c’est l’alliance des talents des comédiens, à la fois marathoniens du jeu scénique et sprinters d’émotions. Tant d’énergie au service du rire, ça suscite l’admiration. Par temps caniculaire, on frise la reconnaissance éternelle !

 

Nathalie Gendreau

Crédit Photos : Leah Marciano



 

« Dîner de famille »
 

 

Distribution

Avec : Jean Fornerod, Joseph Gallet, Emmanuelle Gracci au Festival Avignon OFF et Emmanuel Donzella, Carole Massana et Mathieu Coniglio ou Arnaud Laurent au Théâtre Edgar.

Créateurs

Auteurs : Joseph Gallet et Pascal Rocher
Mise en scène : Pascal Rochet, assisté de Joris Donnadieu

 
Décor : Caroline Lowenbach

Production : ADA Productions et L’A.S. Baltringues

 

Du mardi au samedi à 19 heures ou 21 heures par alternance, jusqu’au 31 décembre 2018.

 

Au Théâtre Edgar, 58 Boulevard Edgard Quinet, Paris 75014.

Durée : 1 h 20.

 

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