Extrait (page 63)
“Derrière les grilles de Summerhill”, Nikola Scott
“Chez les MacAllister, le grenier, comme tout ce qu’Aidan approchait, était propre et parfaitement ordonné : étiquettes en capitales d’imprimerie, piles nettes et angles droits. Aidan avait l’obsession des angles droits : les plis de ses vêtements, la disposition de ses livres, la manière dont il découpait les citrons. Chloe dépassa lentement DÉCORATIONS DE NOËL, MANTEAUX D’HIVER et COUETTES ; des petits meubles, de la vaisselle, une ménagère en argent offerte par les parents d’Aidan qui trouvait qu’elle manquait de simplicité – il préférait les couverts orthogonaux qu’il avait achetés à la place. Il y avait aussi toute une série de cartons remplis de vieux ouvrages de médecine et, reléguée dans le coin le plus éloigné, une pile estampillée CHLOE.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Derrière les grilles de Summerhill, aux éditions City, est un hymne à l’amour dans toutes ses composantes. Fidèle à ces précédents ouvrages, des sagas familiales aux secrets bien gardés, l’auteure Nikola Scott nous présente un roman du même genre, à deux voix et sur deux temps différents. Madeleine, alias Maddy, et Chloe, en apparence, n’ont rien en commun, si ce n’est le livre pour enfants “Les extraordinaires aventures de Foxy le Grand”, que la première a publié avec sa sœur Georgiana et que la seconde a adoré, par la voix de son père qui le lui lisait avant de s’endormir. Une madeleine de Proust, en quelque sorte ! Dont la jeune Chloe va se saisir avec l’avidité d’une naufragée et une reconnaissance éperdue pour cette main tendue. Le roman esquisse avec acuité des personnages aux traits bien caractérisés, qui traversent les remous du destin et doivent se réinventer pour gagner la paix du cœur. Une paix si chèrement payée. Madeleine en sait quelque chose, elle qui a perdu sa raison d’être la veille de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Nikola Scott signe là un roman choral de femmes émouvant, prenant et actuel en évoquant les violences faites aux femmes.
Résumé
Alors qu’elle vient d’apprendre qu’elle attend son premier enfant, après deux ans de mariage, Chloe panique. Il lui semble impossible de donner la vie alors même qu’elle se débat dans une relation toxique avec un mari aussi rigide que possessif. Madeleine est une octogénaire qui vit retirée dans la propriété familiale, dans le comté des Cornouailles, en Angleterre. Cette grande demeure qu’elle n’a jamais voulu vendre a été le théâtre des drames de sa jeunesse qui la hantent toujours. Elle n’imaginait pas qu’une jeune photographe, aussi fragile qu’un oisillon tombé du nid, changerait le cours de son amertume en égayant sa solitude. Chloe, elle non plus, n’imaginait pas que la rencontre avec son auteure de jeunesse préférée allait être décisive. À l’idée de photographier Madeleine pour le compte d’un éditeur, elle est tout d’abord partagée entre le bonheur de faire la connaissance de Madeleine et la crainte d’affronter la colère de son mari qui lui interdit de travailler. Mais son désir est le plus fort, il emportera sa décision. Cette transgression la sauvera d’une relation oppressante dans laquelle elle s’est laissée enfermée par amour.
Pour approfondir
Derrière les grilles de Summerhill est un roman qui prend son temps pour s’installer, plaçant les situations et les caractères à la manière d’un pointilliste, par petites touches légères. Le temps s’installe confortablement et prend ses aises, au risque de lasser, de faire oublier pourquoi on est venu là. Mais on est séduit par l’endroit, par l’ambiance ; on se réfugie derrière les grilles de cette belle propriété dont on parcourt les moindres recoins avec Maddy et son inséparable sœur Georgiana jusqu’aux falaises abruptes et dangereuses. Le décor prend autant d’importance que l’intrigue, cheminant en parallèle, à deux périodes différentes. Progressivement, les intrigues s’accélèrent, entraînant le lecteur dans un entonnoir de révélations. Les deux caractères aussi se précisent, s’affinent au fil des événements, jusqu’à devenir acérés. Le duo de femmes se ressemblent dans leur psychologie. Maddy se retrouve en Chloe, avec sa fragilité touchante où couve une force non encore révélée. Elle se laissera percer à jour, sans trop de résistance. Sait-elle déjà que ses propres épreuves donneront à la jeune femme la force d’affronter les siennes ?
Nathalie Gendreau
City Editions, 13 janvier 2021, 368 pages, à 19,50 euros.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
J’aime les notes de lecture de Presta Plume car, à travers les différents éclairages proposés par Nathalie Gendreau, on a une idée assez précise de l’ouvrage traité. L’objectif est bien sûr de faire aimer la lecture en général et les ouvrages choisis en particulier. Il va de soi que Nathalie Gendreau assume ses choix, on parle tellement mieux de ce que l’on aime, mais ses observations trouvent souvent une résonance avec le présent pour nous offrir une séance salutaire de gymnastique cérébrale.