“Dernières nouvelles du futur”, Patrice Franceschi

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Il faut que tu écrives tes Mémoires, insista N’Diaye au bout d’un moment ; tu dois tout raconter depuis le début, en détail, pour les générations futures. Il faut qu’elles sachent ce qu’elles doivent aux anciens comme nous, à toi surtout ; qu’elles se rendent compte que rien n’est jamais acquis. Sinon, tout pourrait recommencer dans un éternel retour du même, tu le sais bien”. Page 213.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Vers quels horizons se dirige-t-on ? Si nombre d’auteurs comme Orwell et Huxley les ont déjà imaginés, cette question existentielle demeure prégnante. Alors malade de ses dérives, notre monde se débat à coups de progrès pour devenir meilleur, s’échinant à approcher le bonheur, ce contentement de l’être qui connaîtrait – enfin ! – le Paradis sur terre. Un paradis fiscal, sécuritaire, économique, égalitaire, mais un paradis habité d’hommes et de femmes qui auraient abandonné en contrepartie toute forme de libre arbitre. Hanté par le devenir de l’Homme, l’écrivain baroudeur Patrice Franceschi nous le dépeint en quatorze tableaux uniques qui s’enchâssent sur un peu plus d’un siècle pour constituer un monde réinventé par nos futurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Drôles et tragiques, ironiques et édifiantes, ces nouvelles montrent l’étendue de l’inquiétude de l’auteur qui a vécu cinq années aux côtés des Kurdes de Syrie dans leur lutte contre l’islamisme. Elles puisent si bien leur origine dans notre actualité mondiale, toujours plus sanglante et alarmante, que ces “Dernières nouvelles du futur” ont valeur de réalité.

De fable en fable, l’auteur écrit la folie des hommes qui ont troqué leur citoyenneté contre le statut de consommateur et ont balayé l’éthique sans état d’âme. Ces consommateurs boulimiques veulent toujours plus sans se poser la question de l’après. Ainsi n’hésite-t-on pas à défigurer les plus belles montagnes pour un chantier pharaonique qui va couvrir plusieurs générations. En 2056 apparaissent de pair le premier “homme augmenté” et la frustration des êtres ordinaires pas assez riches pour s’acheter ce supplément bionique et connecté. En 2120, les voyages ne sont plus autorisés, seuls les “déplacements éducatifs” sont permis. Un jeune couple l’expérimente à bord d’un avion solaire en découvrant les Sept merveilles du monde que des décennies de pollution et d’inconséquences écologiques ont érigé en attraction. Mais, derrière l’éducation pro-consommation, l’âme sensible de quelques-uns s’émeut, résiste, s’insurge. Là, on profite de la faille d’une caméra de surveillance afin de s’octroyer une poignée de minutes pour lire de la poésie. Là encore, on défie la loi ultra sécuritaire qui impose aux guides de haute montagne de ne pas dépasser les mille mètres. Puis, les dérives s’intensifiant, le chaos s’installe, prend ses aises, dans un Paris en guerre retranchée contre les terroristes islamistes. Et le cataclysme climatique finit par survenir en 2121 qui verra se rejouer l’Arche de Noé. Pendant ce siècle d’errance, le Réseau Sénèque s’élève en contre-pouvoir, ralliant de plus en plus de sympathisants et de militants. Mais sera-ce suffisant pour sauver ce qu’il reste de notre humanité ?

Ces quatorze nouvelles divertissantes sont des contes à cauchemarder éveillé, d’autant que le futur envisagé par Patrice Franceschi est parfaitement crédible. L’auteur se fait lanceur d’alerte par anticipation avec la meilleure arme : une plume. Une plume affûtée au plus fort des combats en Syrie, qui aura trouvé l’inspiration dans les larmes de cette humanité en dérive. L’ère de la prééminence numérique pourrait bien s’ouvrir sur un monde qui aura égaré sa part d’humanité sur le chemin de son évolution transhumaniste. Ne dit-on pas que l’Enfer est pavé de bonnes intentions ? Si on en doutait, Patrice Franceschi anticipe pour nous la voie de l’extrême, tout en accordant, avec humour et bienveillance, le bénéfice du doute à ces humains en constante réinvention. Si les illusions sont mortes, demeure néanmoins l’espoir représenté par le “Réseau Sénèque”, des militants qui résistent pour que le monde acquière la sagesse rédemptrice. Si l’on ne veut pas y croire, c’est un bon début de réflexion pour que les nouvelles du futur soient bonnes !

Nathalie Gendreau

 

Editions Grasset, 7 février 2018, 224 pages, à 19 euros en version papier et 13,99 euros en version numérique.

 

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