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Extrait (page 35)
“Ce sourire qu’elle fait au serveur, insupportable… Elle doit être dans un rapport de séduction permanent avec tous les hommes. C’est plus fort qu’elle, elle doit avoir ça dans le sang, Bruna, Tessa, ou peu importe son nom. Dès qu’un homme apparaît, hop séduction, c’est mathématique chez elle, inné, obligatoire. La fille à vélo doit dire des phrases du genre : “Moi, je n’ai que des potes mecs, je ne sais pas pourquoi, je ne m’entends pas du tout avec les filles ! Elles font trop d’histoires, c’est toujours compliqué. Avec les mecs, tout est plus simple, je suis un vrai garçon manqué.”

Charlotte Gabris

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Humoriste et comédienne, Charlotte Gabris fait paraître aux éditions Cherche-Midi un premier roman très réussi. « Déjeuner en paix » est un huis clos en plein air, pétillant et mordant, sur le regard critique des femmes entre elles. L’auteure met en scène deux jeunes femmes seules, assises chacune à une table d’une terrasse de café parisien à l’heure du déjeuner. L’une est Parisienne, sûre d’elle, aux airs supérieurs, elle attend son amoureux qui ne viendra pas ; l’autre est une provinciale fraîchement arrivée à la Capitale pour suivre un stage. Elle a remarqué cette jeune fille prétentieuse qui agit comme en terrain conquis, et dont elle envie l’enthousiasme, l’assurance, la façon de s’habiller, de rire, d’attendre. De son côté, pour tromper l’ennui, la Parisienne focalise sa mauvaise humeur sur ce qu’elle croit être une touriste solitaire qui fait semblant d’attendre quelqu’un pour ne pas montrer qu’elle est seule. Tout le long du déjeuner, les deux femmes jaugent l’autre en son for intérieur, se moquant crûment et durement, sans rédemption possible, de ce qu’elles pensent deviner de l’autre, de sa vie, de ses relations, de ses goûts, de ses aspirations. Bien entendu, les apparences sont trompeuses.

Résumé

Sous le ciel de Paris, à l’ombre d’une terrasse de café, deux femmes s’observent et se comparent, inventant la vie de l’autre en fonction de ce qu’elles dégagent, mais aussi de ce qu’elles renvoient. La Parisienne et la provinciale poussent loin leur jugement négatif et corrosif, elles laissent dégringoler les attaques et les remarques désobligeantes, s’en prenant à la manière d’être de l’autre, soulignant tout ce qui les oppose et les différencie. Chacune a sa propre verve, sa répartie bien sentie, sa cruauté sans fard, l’une ne lâchant rien à l’autre. « Peut-on parler fort, ne jamais sourire, et porter un panier en osier avec autant d’assurance et d’aplomb ? » se demande la première en voyant la cycliste parisienne garer son vélo. Peut-on boire un verre de vin en trinquant… avec soi-même, et sembler heureuse malgré tout ? » se demande la seconde, horrifiée de la voir manger des escargots au déjeuner. Les miroirs de l’âme ne sont pas toujours déformants, ils peuvent réveiller des souvenirs. En jugeant l’autre, c’est soi qu’on maltraite. Chacune dialogue avec elle-même sur la vie qu’elle mène, sur les regrets, les choses qu’elles devraient changer sans oser faire le pas. Chacune est à l’orée d’un moment important de sa vie, à un croisement sans signaux d’interdiction ni d’obligation. Et s’il suffisait de déjeuner en paix pour se retrouver ?

Pour approfondir

Habituée aux comédies (en mars, elle sera à l’affiche de Divorce Club, une comédie de Michaël Youn), au théâtre et aux seules-en-scène, Charlotte Gabris ne se dépare pas de son humour acéré et provocateur dans son premier roman. Actuelle – dans l’air du temps comme on dit –, l’écriture est vive, légère, agréable à lire, et les réparties touchantes et amusantes. La construction du livre est astucieuse, car elle conduit tout droit à une chute surprenante… à ne surtout pas déflorer ! Le récit avance avec des chapitres qui donnent alternativement la parole aux deux narratrices, ce qui forme une conversation, où l’une et l’autre semblent régler leurs comptes, mais par monologues interposés qui ont l’accent prononcé du vécu et de l’autodérision. Derrière un ton enlevé et irrésistiblement impertinent, l’auteure dénonce cette rivalité légendaire qui pousse les femmes de manière compulsive à se comparer entre elles, ce qui non seulement minent leur assurance et instillent des doutes, mais leur fait perdre un précieux temps. Chacune pourra se reconnaître un peu ou pas dans ces deux femmes qui, finalement, à tout bien lire, ne sont pas si éloignées l’une de l’autre !

Nathalie Gendreau

Éditions Cherche-Midi, 16 janvier 2020, 176 pages, à 17 euros.

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