Extrait (page 58)
“Conversations avec l’ancêtre”, Michel Teodosijevic
“- Mais toi, Stéfan, qui sont tes ennemis ?
– Ils ne sont pas aussi cruels que les tiens, ils n’enlèvent pas les enfants, n’empalent pas les hommes. On les appelle copropriétaires, voisins, ils engagent des déménageurs pour réaliser leur sale besogne. Ces gens-là viennent chez nous et nous forcent à changer sans arrêt de maison. Je voudrais apprendre à les combattre, je voudrais leur faire la guerre, empêcher la souffrance de mes parents.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥
Dans le récit romancé « Conversations avec l’ancêtre », Michel Teodosijevic raconte avec beaucoup de tendresse et de poésie l’enfance et l’incompréhension du monde. Stéfan est un enfant de dix ans qui se pose beaucoup de questions, au premier rang desquelles : pourquoi ses parents déménagent-ils si souvent ? Pourquoi sont-ils contraints de quitter les appartements dans lesquels ils ne restent jamais bien longtemps ? Qui payent ces hommes en salopettes bleues qui les mettent à la rue ? Les réponses sont d’autant plus cruciales que ses parents se disputent de plus en plus. Le couple est en perdition. Stéfan est prêt à tout pour les défendre des voisins qui les menacent ou les dérangent exprès. Il aimerait tant ressembler à son héros, Joss Randall, de la série « Au nom de la loi ». D’une façon inattendue, c’est l’un de ses aïeuls qui l’aidera dans sa soif de justice. Lors d’un énième emménagement, son père accroche au mur le portrait d’un guerrier balkanique brandissant un sabre. C’est son arrière-grand-père, apprend-il, « un des combattants qui ont donné leur sang pour se libérer des Ottomans ». À partir de jour, Stéfan tente d’entrer en communication avec ce « héros de chair et d’os », comme avec ses petits soldats qu’il fait parler. Son entêtement paye. Il s’établira une relation privilégiée entre l’enfant et le fantôme du guerrier balkanique qui le guidera dans sa quête de devenir un héros, quitte à enfreindre la loi s’il le faut ! Ces conversations imaginaires, comme autant de conseils de survie, l’aideront à tenir bon jusqu’à la fin de l’enfance, jusqu’à ce moment charnière où un regard fait chavirer le cœur.
Pour approfondir
« Conversations avec l’ancêtre » a tout du conte moderne, où la dure réalité s’appréhende par le prisme de l’imaginaire. Celui d’un enfant. L’auteur Michel Teodosijevic puise dans ses souvenirs pour décrire ces petits riens d’une enfance censés construire le socle sur lequel le futur adulte grandira. Devant l’incompréhension d’une situation qui le stresse, l’enfant use de ruses de Sioux pour réinventer sa vie et donner une logique aux événements. Pour Stéfan, les déménagements de ses parents ne peuvent s’expliquer que parce qu’une multitude d’« ennemis », qui les cernent comme le feraient des Indiens, menace leur vie. Pour exprimer ce malaise, l’auteur emploie des mots simples, venus de l’enfance d’où ressortent une logique candide et une sincérité nue. Ce fond est mis en lumière par une forme tout aussi épurée : de courts chapitres qui se suivent comme autant de minuscules tranches de vie, faisant émerger l’instantanée d’une émotion, d’un sentiment, d’un acte. En accordant au fantôme plus de chair qu’aux parents, l’auteur souligne combien le manque d’attention parentale peut entraîner l’enfant dans l’isolement et combien le manque d’explication peut le perturber au point de le pousser à réagir avec ses propres armes.
Nathalie Gendreau
Éditions L’Harmattan, Préface de Didier Daeninckx, 27 mai 2020, 136 pages, à 14,50 €.
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