“La fête de l’insignifiance”, Milan Kundera

Temps de lecture : 3 min

 

Résumé

Jeter une lumière sur les problèmes les plus sérieux et en même temps ne pas prononcer une seule phrase sérieuse, être fasciné par la réalité du monde contemporain et en même temps éviter tout réalisme, voilà La fête de l’insignifiance. Drôle de rire inspiré par notre époque qui est comique parce qu’elle a perdu tout sens de l’humour.

 

L’avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Un roman au titre captif, comme Milan Kundera a le secret. Qui ne voudrait pas se précipiter à cette Fête de l’insignifiance en ces temps éprouvés ? Cette évocation a agi sur moi comme un aimant sur ma quête de légèreté. Mais c’était sans compter la plume vive de l’auteur qui sait si bien la tremper, quand il le faut, dans l’encre des âmes avec cette simplicité forte et cocasse qui le caractérise. Et l’on est irrésistiblement entraîné dans un tourbillon de questions, par le mystérieux chef d’orchestre, le seul à connaître les cinq personnages principaux. Tout au long du roman, par fragments, leur vie se croise, s’invite, s’éloigne puis se retrouve par hasard d’un cocktail ou par besoin.

Il y a Alain, fasciné par le nombril dénudé des filles, un nombril qui le conduira au fil des pages jusqu’au cordon ombilical et à la révélation sur le sens de sa vie d’excusard. Il y a le vaniteux et coureur de jupons D’Ardelo, rassuré par le médecin, mais qui s’invente un cancer avec l’humilité des courageux. Dans quel intérêt ? Le sait-il lui-même ? Il y a Ramon, le fin observateur, retraité, solitaire à force de discrétion, qui n’attend que de refaire connaissance avec la bonne humeur. N’est-ce pas cet ingrédient qui permet de rire de tout ? Il y a Charles qui est intarissable sur l’humour de Staline, évoquant le conte délirant des « Vingt-quatre perdrix », et qui s’inquiète pour sa mère. Il y a Caliban qui court les engagements de serveur à défaut d’acteur. Pour ne pas s’encroûter dans un rôle connu qui est le sien, il se crée un personnage dans les cocktails, jouant de préférence un Pakistanais ne parlant pas un début de français, mais jargonnant un dialecte cousu de fils grossiers et cependant trompeurs. S’il fait illusion, ce personnage sorti d’une imagination aux abois s’essouffle au gré des cocktails. Il y a un sixième gai luron, Quaquelique, dont on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il est un rival d’une trempe réservée, un charmeur sans panache, mais qui séduit par effacement et ne semble exister que pour accentuer la suffisance de D’Ardelo. Au milieu de cette fête de l’insignifiance surgissent des invités-surprises, flottant entre réalité et rêverie. Tout d’abord une mère aimée, fictive, qui chuchote à l’oreille de son fils abandonné. Une autre mère, réelle, que tous auraient adoré avoir et qui se meurt. Puis un Staline, ne se lassant pas de narrer à ses proches collaborateurs la même anecdote de chasse improbable, juste pour exulter quand il les entendait évacuer leur indignation aux toilettes, à l’abri, croyaient-ils, des oreilles tyranniques du Petit Père du Peuple. Preuve que l’humour ne s’entend qu’en pays libre de penser !

Ce roman interroge sur l’essence de la vie, il n’y a pas vraiment d’intrigue, ni de dénouement. Juste une amitié qui pousse des hommes à méditer sur l’éternelle question existentielle. Les personnages ne sont nullement décrits physiquement, mais est-ce si important ? On peut aisément se les représenter par leurs discussions et leurs introspections.

J’ai beaucoup aimé me laisser emporter par le rythme endiablé des chapitres qui s’enchaînent vite et bien, même si parfois déstabilisants, par les personnages dévoilant peu à peu leurs aspirations, leurs failles, leurs préoccupations sur le véritable sens de leurs actions. Aucun mot n’est de trop, pas de superlatif, pas d’abus d’adjectifs, les phrases touchent juste, d’une fluidité telle qui rend la lecture facile et donne la sensation que l’écriture le fût tout autant. N’est-ce pas là la marque d’un grand écrivain que de faire croire que l’on aurait pu être l’auteur du livre ? Milan Kundera a réussi ce tour de force de faire se rencontrer l’insignifiante facilité et l’idée même de l’insignifiance chargée de tant de signifiants ! Exilé tchèque, mis hors la loi par le régime communisme, il s’attaque, dans ce quatrième roman écrit directement en français, à un thème qui lui est cher : la liberté d’être. Et s’inspire de « notre époque qui est drôle parce qu’elle a perdu tout sens de l’humour ».

En cette période propice aux résolutions, La fête de l’insignifiance a toute sa place dans votre Pile A Lire. Vous pourrez alors découvrir les valeurs de l’insignifiance et apprendre à l’aimer pour ce qu’elle est : la clé de la sérénité !

Éd. Folio, 144 pages, 6,50 €.

 

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