“Paris est une fête”, Ernest Hemingway

Temps de lecture : 3 min

Résumé

“Miss Stein et moi étions encore bons amis lorsqu’elle fit sa remarque sur la génération perdue. Elle avait eu des ennuis avec l’allumage de la vieille Ford T qu’elle conduisait, et le jeune homme qui travaillait au garage et s’occupait de sa voiture – un conscrit de 1918 – n’avait pas pu faire le nécessaire, ou n’avait pas voulu réparer en priorité la Ford de Miss Stein. De toute façon, il n’avait pas été sérieux et le patron l’avait sévèrement réprimandé après que Miss Stein eut manifesté son mécontentement. Le patron avait dit à son employé : “Vous êtes tous une génération perdue.” “C’est ce que vous êtes. C’est ce que vous êtes tous, dit Miss Stein. Vous autres, jeunes gens qui avez fait la guerre, vous êtes tous une génération perdue.” »

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Lire “Paris est une fête”, de Ernest Hemingway, était pour moi un acte de bravade silencieuse et une curiosité stylistique intéressée. Ce récit au titre évocateur, publié de manière posthume en 1964, et réédité dans une version enrichie de huit textes laissés de côté par l’auteur, a ressurgi de l’oubli pour refaire une entrée fracassante dans la lumière de l’histoire de ce début de siècle. Et le succès bis, qui s’est répandu comme une trainée de poudre, est la réponse symbolique aux semeurs de ténèbres qui ont frappé la France en 2015. C’est comme si la génération dite perdue s’adressait à une autre génération ébranlée.

Les 29 croquis de la vie parisienne ici rassemblés exhalent l’atmosphère d’un Paris des années 20, à une période d’effervescence culturelle et intellectuelle, qui attirera des artistes de tous poils, et surtout de toutes plumes, d’ici et d’ailleurs, et surtout d’ailleurs ! C’était une époque où Hemingway, dit Hem, lâche son métier de journaliste pour se consacrer à l’écriture. Et Paris n’était-elle pas “la ville la mieux faite” pour s’y essayer ? Tout artiste désargenté pouvait y vivre convenablement et trouvait même à se distraire s’ils se privaient assez sur le coiffeur ou l’habillement. Hem y vivra chichement, les cheveux au vent, et très heureux avec sa femme Hadley, si belle et si gaie, et leur fils Mr Bumby. Ils s’accorderont des repas arrosés de vin blanc, des sorties en amoureux ou entre amis, dans les cafés où il faisait bon écrire et rire et s’enivrer, et s’adonneront à leur passion des courses de chevaux dans lesquels ils pouvaient dilapider leur maigre fortune ou se refaire une santé à la montagne.

Ne pouvant conter Paris qui ne tiendrait pas en un volume, Hem a choisi de lécher ses anecdotes avec “l’ambition de distiller plutôt que d’amplifier”, avec la vieille règle qui juge la qualité d’un texte “en fonction de l’excellence des matériaux qu’il (l’auteur) rejette”. L’on y retrouve la collectionneuse féministe Miss Stern, chantre de l’art et faiseuse de renommée au 27 rue de Fleurus. Son ami irlandais Ezra Pound, poète et critique, et irascible et généreux, et “si sincère dans ses erreurs, si attaché à ses fautes” et qui croyait au mot juste et qui se méfiait des adjectifs. Son ami Scott Fitzgerald, à qui il arrivait “beaucoup de choses étranges”, aux caprices sympathiques et à l’alcool horrifique. Et d’autres, moins sympathiques, comme Wyndham Lewis, “au visage de grenouille pour qui Paris eût été une mare trop grande”. Et bien d’autres encore aux tranches de vies exquises et hissées sur une crête sur laquelle le funambule Hem s’invente dans un numéro de style affûté et précis, une écriture contemplative d’un Paris qui subjugue et provoque. Hem aime Paris et l’écrit sur le bleu des ardoises des toits. Et par un mimétisme amoureux de son écriture, je me prends à enfiler moi aussi des “et” comme des perles, avec l’exaltation appliquée d’une enfant qui se lance.

C’est un récit à fragments autobiographiques touchant qui se revendique pourtant œuvre d’imagination, car “toute réminiscence du passé met forcément en jeu l’imagination”. Quoi que ce fut, Paris est une fête est à relire sans fin, car “Paris n’a jamais de fin”, et restera une capitale où il fait bon vivre, un lieu de joie et de félicité créatrice, un lieu et une époque où Hemingway et Hadley se croyaient invulnérables.

 

Éd. Folio, décembre 2015, 345  pages, 8,20 €.

 

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