Extrait (page 46)
(C’était ma petite sœur)
“J’avais les bras serrés, les jointures des doigts me faisaient mal. L’Assistance publique nous habillait dans des blouses à carreaux bleus et blancs que nous enfilions par-dessus nos robes. C’est plus fort que moi. Encore aujourd’hui, on me dit que je prends un drôle d’air buté lorsqu’on m’interpelle, je me replie, me rétracte, comme sous la menace, je deviens sourde. J’ai pris le pli de me mettre en boule avec Hermenault. Elle cognait de plus belle.
– On te tuerait, tête de mule, tu ne céderais pas, hein !”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Dernier roman d’Yves Viollier, aux éditions Presses de la Cité, « C’était ma petite sœur » explore à travers le regard d’une petite fille le sentiment d’abandon et le nécessaire chemin de résilience pour se reconstruire. S’il se plaît à transmettre dans ses livres l’attachement à sa région d’origine (la Vendée), dans ce roman, l’auteur focalise l’attention sur l’univers intime de Jeanne, une petite fille de sept ans qui a été confiée à l’Assistance publique avec ses deux demi-sœurs. Le roman commence par l’entrée de ces trois petites filles dans une nouvelle famille d’accueil qui pourrait être, enfin, le signe d’une ère plus sereine… et pourquoi pas heureuse ? Mais l’arrivée dans la maisonnée d’une quatrième demi-sœur, alors âgée de quelques semaines, va souligner la différence de traitement par leur bienfaitrice, Mademoiselle Eugénie. Les attitudes vexatoires, les mots blessants, les châtiments excessifs constituent leur cadre éducatif. La bienveillance s’est arrêtée au seuil de la porte. La plus rebelle des trois sœurs, Jeanne ressentira l’injustice plus cruellement. Elle passera sa vie à chercher les raisons de sa mise de côté volontaire et de cette préférence inexplicable pour sa sœur Charlotte. Peut-on guérir de son enfance ? Yves Viollier y répond avec pudeur et délicatesse en nous offrant une voix terriblement émouvante, suscitant des émotions qui nous attachent Jeanne davantage.
Résumé
Adulte, Jeanne se souvient de l’été 1960. Après avoir été maltraitée par ses précédentes familles d’accueil, elle est placée, avec ses deux petites sœurs de 6 et 5 ans qu’elle ne connaît pas encore, chez Mademoiselle Eugénie, au château des Marguerites à Saint-André-d’Ornay. Malgré la sévérité de sa propriétaire et son absence d’empathie, Jeanne pense que la chance lui sourit enfin, que les brimades sont de l’histoire ancienne et qu’elle va enfin pouvoir se laisser apprivoiser et aimer. D’autant que les parents de Mademoiselle Eugénie, mémé Georgette et Monmon, et la tante Louise, chacun à sa manière, ouvrent grand leur cœur à ces petites en carence d’amour. Mais la promesse de ce nouvel avenir va bientôt s’évanouir avec l’arrivée de Charlotte que Mademoiselle Eugénie présente comme leur petite sœur. La seule naissance de cette dernière-née de la fratrie aura suffi à gagner l’affection exclusive d’Eugénie, au détriment de Jeanne, Thérèse et Monique. Considérées comme des « brouillons », elles n’auront servi qu’à préparer Eugénie à devenir mère pour l’arrivée de Charlotte, la préférée, celle qui sera finalement adoptée. Cette grande injustice marquera à jamais le caractère de l’aînée qui n’aura plus qu’une envie : conquérir son autonomie, qu’elle obtiendra à seize ans. Mais pour aller où, pour quoi faire, pour devenir qui ?
Nathalie Gendreau
Éditions Presses de la Cité, 4 avril 2019, 304 pages, à 19,50 euros en version papier et 12,99 euros au format numérique.
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