Extrait
“Il me semblait de là-bas [château de Villiers], de si loin, entendre les couvercles des malles de fer tomber avec un bruit définitif sur les cahiers griffonnés de secrets, sur le Journal d’Augusta, les cris de Thérèse mourante, les lettres de guerre d’Henri mon grand-père, les comptes de maison, les archives, les généalogies. Tout sur quoi j’avais posé les yeux depuis ma naissance s’effaçait, les voix que j’avais entendues étaient réduites au silence et les cœurs arrêtés qui avaient fait battre le mien.” (Page 163.)
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Avec Ces jours qui ne sont plus, Françoise d’Origny pose un regard sincère et lucide, mais aussi amusé et sans concession, sur une vie personnelle intense et l’évolution d’une époque fastueuse révolue. Aristocrate, sportive et artiste-peintre, l’auteure a suivi le sillage de ses parents (anciens résistants de la première heure) qu’elle vénérait comme des dieux en faisant montre de fidélité à ses principes, de courage, de devoir… et de caractère. Son frère Henri et elle n’ont pas été étouffés de baisers, mais ont reçu une éducation stricte qui ne tolérait aucun manquement. Ce dont elle les remercie. Cette éducation lui a permis d’affronter une vie très exigeante faite de conventions, de protocoles et de bienséance. Mais aussi surprenante et rocambolesque. Devenue Vicomtesse d’Harcourt, après un mariage plus teinté d’entente cordiale que d’amour, Françoise d’Origny a osé divorcer pour rencontrer quelques années plus tard l’amour dans les beaux yeux d’un scientifique.
Née en 1931, Françoise d’Origny nous replonge dans les événements de l’Histoire qu’elle commente avec l’œil observateur, touchant et pragmatique lorsqu’elle vit l’exode, l’Occupation et la Libération lors de la Seconde Guerre mondiale, puis lorsqu’elle se confronte aux révoltes africaines contre la colonisation, aux événements de Mai 68… À ces grands moments historiques s’entremêlent des événements plus personnels qui dépeignent la noblesse d’âme de cette femme haute en couleur, éprise de liberté que le devoir tempère. Un devoir qui la poussera à accepter de suivre son mari – être instable et inconséquent – jusqu’au fin fond de la brousse, avant de l’abandonner à ses nombreuses maîtresses. Françoise d’Origny est aussi une artiste dans l’âme, aimant le beau et la peinture qu’elle étudiera avec Hans Staude en Toscane.
Ces jours qui ne sont plus porte aussi un éclairage incisif et très instructif sur la vie mondaine parisienne, ses avantages, ses codes et ses travers, projetant une lumière vive sur cette sorte d’aliénation culturelle, dont il est difficile de se libérer… sous peine d’être mis à l’écart. Lucide sur son parcours, authentique dans ses sentiments, Françoise d’Origny use d’un style alerte, où pointe une délicate impertinence. Avec ses descriptions d’une grande poésie, elle nous emmène dans ses bagages, d’un château à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une fête à l’autre, où l’on a le sentiment que si les voyages forment la jeunesse, ils consolent aussi et font germer l’amour. Ses jugements sévères sur son parcours, ses défaillances, erreurs et regrets, sonnent comme la rémanence d’une exigence parentale. Petit plus qui signe le style de l’auteure : une écriture délicieusement sophistiquée qui, loin d’être surannée, renoue avec le charme exquis de la belle langue. Une écriture remarquée et récompensée par le prix du Cercle de l’Union Interalliée, lequel lui sera remis officiellement le 21 janvier 2019.
Nathalie Gendreau
Fauve Éditions, 31 octobre 2017, 351 pages, à 29 euros.
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