EXTRAIT
“Je sais que le malheur des autres ne change rien à ce que l’on vit, que savoir qu’il y a, comme on dit, “toujours plus malheureux que soi” n’adoucit aucune peine, que connaître la vie à Dharavi ne change pas la vie à Paris ou ailleurs. Je sais qu’il y a à nos propres portes des êtres misérables qui vivent comme des chiens, qu’il est imbécile de comparer nos douleurs, que manger à sa faim sous un toit n’empêche pas de se jeter sous un train… Cependant, voir Dharavi a irrémédiablement changé ma vision de la vie.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥
« Bombay mon amour » est un roman d’amitié entre trois femmes qui fait voyager dans une Inde envoûtante. Une fois n’est pas coutume, la comédienne et auteure Charlotte Valandrey ne nous offre pas un récit autobiographique sur un fragment de sa vie, comme ce fut le cas pour ses précédents ouvrages. Pour ce récit-là, elle puise dans le genre de l’autobiographie des éléments du réel pour créer sa première fiction… Elle réussit par ce stratagème à brouiller les cartes et à captiver du début à la fin le lecteur qui ne cesse de s’interroger : mais quelle est donc la part du réel ?
Dans ce roman, l’auteure et la narratrice se confondent comme deux sœurs jumelles. L’une offrant à l’autre des bribes de son propre passé jalonné de défis (sa séropositivité, sa fille, ses infarctus et sa greffe de cœur), une Charlotte plus vraie que nature qui accompagne sa meilleure amie Diane en mission humanitaire en Inde pour la soutenir dans le déshonneur qui la frappe. Son amoureux transi qu’elle a guidé vers la présidence de la République française vient de la “répudier” sans élégance. Son cœur est en charpie. L’humiliation de femme bafouée, triste sort réservé aux quadras, est vécue entre abattement et force par l’ancienne Première dame de France. Toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite ! Le récit résonne, au contraire, comme un véritable plaidoyer en faveur de cette femme qui, sous les sourires de circonstances devant les projecteurs, nourrit une vengeance retentissante. Cependant, si l’histoire de Diane s’imprègne de celle de Valérie Trierweiler, les ressorts des événements diffèrent.
En accompagnant son amie, la narratrice s’apprête à vivre de son côté une expérience inoubliable dans ce pays qui l’invite à renouer avec l’amour, qui se présente sous les traits d’un journaliste au corps sculpté comme un dieu grec. Mais cette passion réciproque et dévorante ne l’occupe pas à plein temps. Charlotte soutient Diane dans les épreuves qu’elle traverse et tente de la protéger contre les bombardements de SMS repentants de son si tristement célèbre “ex”. Elle retrouve également son autre meilleure amie, Lili, déjà présente dans ses précédents ouvrages, qui la rejoint à Bombay pour se consoler d’avoir été trahie par son compagnon. Dans les bidonvilles de Bombay, la narratrice est atterrée par la misère. Au détour d’une rue, elle est frappée par les yeux d’une enfant en haillons qui s’accrochent à elle désespérement. Elle ne peut s’en détourner, au point d’envisager l’adoption. Entre les visites officielles le jour et les soirées caritatives, ses nuits sont aussi bien employées. Une vie à cent à l’heure, alors même qu’un attentat est perpétré dans un hôtel voisin.
“Bombay mon amour” est un hymne à l’amitié entre femmes déçues par les hommes, mais aussi à la vie qui triomphe de la maladie et des peines. Il est question de trahison et de passion, de sagesse et de vengeance, de voyage intérieur et d’exotisme, d’un pays mystérieux où se côtoient tous les extrêmes, tous les contrastes. Un roman qu’on ne peut laisser au bord du chemin, si ce n’est pour ouvrir son cœur.
Éditions Cherche Midi, 27 octobre 2016, 386 pages, 18,80 €.
Interview de Charlotte Valandrey
Nathalie Gendreau : Comment est né “Bombay mon amour” ?
Charlotte Valandrey. Je voulais écrire un roman d’amitié entre femmes. L’amitié est très importante pour moi. Je me suis inspirée d’un voyage humanitaire que j’ai effectué aux côtés de Valérie Triervieller. Elle rayonnait de se voir entourée des enfants du bidonville et de tous ceux qui la recevaient et l’accompagnaient dans les visites officielles, alors qu’elle était blessée profondément par sa rupture. J’ai connu ce même contraste ayant été moi aussi humiliée par des hommes, par la vie. Cela a fait écho en moi. J’ai alors eu envie de faire de Valérie Triervieller un personnage de roman, Diana, dont la mère voulait qu’elle soit une princesse. Et parler du sujet plus vaste des ruptures des « quadras ».
N. G. Bombay était donc la ville rêvée pour raconter cette histoire de princesse malheureuse ?
C. V. Oui, Bombay est une ville de contrastes dans un pays en pleine croissance économique, où les plus grandes richesses côtoient la plus grande pauvreté. C’est des odeurs, des couleurs, mais aussi des claques. Les gens vivent dans des conditions si misérables dans les bidonvilles, et pourtant la lumière brille dans leurs yeux. Ces contrastes sont des remises en question. S’ils arrivent à ne pas déprimer, nous avons encore moins le droit de nous laisser abattre. Bombay provoque des questionnements sur ce monde dans lequel des gens vivent avec des milliards et d’autres avec cinquante centimes par jour. Pourquoi ceux qui ont de l’argent n’en font-ils pas profiter à d’autres qui en ont besoin, ne serait-ce que pour s’éduquer ?
N. G. La narratrice vous ressemble étrangement. Qu’en est-il réellement ?
C. V. La narratrice, c’est moi idéalisée. Elle est ma sœur jumelle, je ne cite d’ailleurs jamais mon prénom. J’ai pris un certain plaisir à brouiller les cartes entre réalité et fiction.
N. G. Pourquoi avez-vous surnommé le virus du Sida « Viva » ?
C. V. Il y a le mot « vie » dans « Viva ». Je n’aimais plus l’autre mot. “Viva” nous éloigne de la mort et de tous les souvenirs qu’on peut en avoir. Il était très important que cette sœur jumelle, qui n’est plus contaminante, puisse enfin avoir des relations sexuelles normales face a un coup de foudre. C’est le désir qui prime au-dessus de tout. Cela fait partie de la vie. C’est important pour moi d’en parler de cette façon, de ne plus en parler autrement. J’ai d’ailleurs inventé un nouveau mot : désormais, je me considère comme séro-inoffensive, ce qui balaye tous les autres termes.
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Voilà un roman qui donne envie de découvrir l’éternel mystère féminin… en écoutant “être une femme” de Michel Sardou.
Michel