THÉÂTRE & CO
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Sur l’impulsion du journaliste Philippe Tesson, Stéphan Druet a écrit et mis en scène le spectacle dansé et chanté Berlin Kabarett, au théâtre de Poche-Montparnasse. Son texte était une évidence pour lui, la magie et l’intensité qui s’en dégagent sont une évidence pour le public. Un public spectateur mais aussi acteur qui se retrouve dans un théâtre de poche, agencé en cabaret avec des guéridons et des consommations. La scène ? Trois niches bien identifiées qui s’étirent en longueur. Côté droit, le bureau de la tenancière Kirsten (Marisa Berenson), ancienne prostituée aigrie ; en face, la loge de son fils non désiré Viktor (Sebastiàn Galeota) qu’elle exploite et dont l’homosexualité l’encombre et l’insupporte. Côté gauche, un piano, des percussions, un cornet accompagnés de leurs musiciens aux paupières charbonneuses (Simon Legendre, Hugo Chassaniol et Victor Rosi) qui voisinent avec une table riquiqui où planche Karl (Jacques Verzier), le poète contestataire. Et entre ces trois niches et le public, l’étroit espace de liberté où évoluent les personnages en manque de tendresse et de repère moral. L’ambiance est là, elle se plante dans le cœur, net et sans bavure : une musique lumineuse et sombre, des danses langoureuses et acrobatiques, des costumes affriolants qui magnifient les émotions. Quant à l’histoire, elle se déploie en saynètes où l’impossible amour d’une mère pour son fils s’entremêle au témoignage d’une époque marquée par la dépression économique et sociale, et la menace du totalitarisme nazi.
1945. Berlin. Kristen est interrogée par la police française sur ses activités pendant la guerre qui vient de s’achever. Elle raconte son cabaret, le Berlin Kabarett qu’elle tenait en 1928. C’était la république de Weimar, et l’Allemagne s’oubliait dans tous les excès du présent pour occulter l’avenir qui s’annonçait chaotique : l’orage nazi grondait à l’horizon. Quoi de mieux qu’un cabaret pour s’oublier ? C’est un lieu de débauche et d’érotisme, mais aussi de politique et de résistance où s’y déploient dans une égale outrance idées révolutionnaires et strass et paillettes, aussi brillantes qu’éphémères. Dans le cabaret de Kirsten danse Viktor, le fils haï. Viktor aime les hommes, et “Quand Viktor aime, c’est un problème, c’est un blasphème, c’est un anathème !“, comme elle le chante, de tout son cœur glacial. Viktor lui répond en chanson, avec le feu mélodieux de l’espoir. Il danse, cabriole, virevolte et rit avec éclats dans ce refuge exutoire, où les différences sont jusqu’alors protégées. Dans ce cabaret, borgne et encavé, cette âme à la blessure flamboyante pourrait se croire encore dans le ventre de sa mère, même si elle y règne en despote cruel. Mais bientôt les grondements d’Hitler seront au-dessus de leur tête à tous, ceux du dehors comme ceux du dedans, faisant pleuvoir sa foudre éradicatrice par convois entiers.
Berlin Kabarett est un spectacle distrayant à tous points de vue. C’est la fête, foisonnante de notes exubérantes et de cordes sensibles. Mais aussi un spectacle terriblement émouvant. Marisa Berenson à la grâce si lumineuse est saisissante dans un rôle de mère indigne, où le cynisme le dispute à la cruauté. Son insensibilité est émouvante parce qu’elle annihile dans le trou noir de son cœur le désir abyssal d’amour d’un fils honni. Sebastiàn Galeota dans le costume de Viktor est sidérant et impressionnant de justesse. C’est un homme avec toute la finesse féminine. Ses yeux ourlés d’amour cherchent la compassion et la reconnaissance, ses mains aux ongles de jais embrassent le vide, ses danses lascives provoquent la dure réalité extérieure. Chaque personnage du dedans – Kristen, Viktor, Karl l’auteur, Fritz le pianiste-compositeur et les deux musiciens – est la quintessence du monde du dehors. Un microcosme représentatif qui oppose la liberté outrancière du premier au totalitarisme du second. Stupéfiant paradoxe de Berlin Kabarett, où l’on y est juif, communiste, artiste ou/et homosexuel et où l’on y pactise aussi avec le foudre de guerre nazi, qui par lâcheté, qui par intérêt. Stéphan Druet restitue avec force et lyrisme l’esprit intimiste du cabaret, mais aussi une époque, un mythe, grâce à une réalisation ébouriffante, à l’énergie concentrée, et des comédiens à la présence vivante, lumineuse, exceptionnelle… héroïque.
© Victor Tonelli
Distribution
Avec : Marisa BERENSON (Kirsten), Stéphane CORBIN ou Simon LEGENDRE (Fritz et piano), Sebastiàn GALEOTA (Viktor), Jacques VERZIER ou Olivier BREITMAN (Karl), Loïc OLIVIER ou Hugo CHASSANIOL (percussions), Victor ROSI (cornet)
Créateurs
Auteur et metteur en scène : Stéphan Druet
Chorégraphie : Alma de Villalobos
Direction vocale : Vincent Heden
Arrangements musicaux : Anne-Sophie Versnaeyen
Lumières : Christelle Toussine
Musique : Kurt Weill, Stéphane Corbin, Friedrich Hollaender, Fred Raymund, Dajos Béla, Henri Christiné
Costumes : Denis Evrard
Production CITY 27 en coréalisation avec le Théâtre de Poche-Montparnasse
En partenariat avec TSF Jazz
Jusqu’au 6 janvier 2019, du jeudi au samedi 21h, dimanche 17h30.
Au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 Boulevard de Montparnasse, Paris 75006.
Durée : 1h20.
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