“Belle-fille”, Tatiana Vialle

Temps de lecture : 2 min

 

Extrait

“Ça n’est pas un métier pour une femme.” Qu’aurais-je fait si tu n’avais pas prononcé cette phrase ? Que serait devenu ce désir à peine naissant de devenir comédienne ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’elle sonne pour moi comme un défi. L’argument me révolte au moins autant que ton refus, je m’inscris dans un cours de théâtre (page 66).

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Pour se lancer dans l’écriture de soi, il faut une bonne dose de courage mêlé au désir ardent pour éclipser l’appréhension de ce voyage au long court sur le film de sa vie. Tatiana Vialle, d’abord actrice, puis directrice de casting et metteur en scène, a saisi au vol la proposition des éditions du Nil de nourrir avec son histoire personnelle la collection « Les affranchis ». Une requête qui a dû tomber à point nommé tant l’auteure a su imprimer sa voix tendre et profonde à son récit autobiographique dit « romancé », “Belle-fille” aux éditions Nil. L’héroïne se nomme Natacha et non Tatiana. Un dernier bastion de la pudeur sans doute qui l’autorise à écrire cette fameuse lettre à son beau-père, Jean Carmet : un être aussi attendrissant dans ses films que tyrannique dans son foyer. Avec ce livre touchant, c’est le silence que rompt Tatiana Vialle. Un silence sur sa position inconfortable et détestée de belle-fille, qui la pousse à se taire. Avec application, entêtement… et timidité.

Un homme entre « par effraction » dans la vie de Natacha à ses cinq ans. L’enfant ne supportera pas le nouvel amour de sa mère qui n’est pas encore un acteur célèbre. Elle le détestera avec détermination et dédaignera par le silence ses approches pour l’apprivoiser. Cet étranger qu’elle laisse à la porte de son cœur, elle apprendra cependant à le connaître et à reconnaître ses crises d’angoisse lorsqu’il était un comédien sans le sou et que la forte notoriété n’a pas calmées. Au contraire ! Au bout de tant d’années et malgré son autoritarisme maladif, elle finira pourtant par l’apprécier, au point de continuer à le voir bien après la rupture avec sa mère Olga. Ce voyage mouvementé au centre d’une vie décomposée puis recomposée est proposé à travers les yeux de cette petite fille blessée, devenue adolescente rebelle, puis femme à la vie éparpillée, confuse que ses mauvais choix égarent. Longtemps sur la corde raide, Natacha trouvera enfin l’équilibre… à cinq, avec ses trois enfants.

Sans voyeurisme aucun, « Belle-fille » relate une délicate confession et des regrets de s’être retranchée derrière le silence de la pudeur. Sur un ton alliant drôlerie et sensibilité, ce qui ressemble à un journal intime adressé à une personne jamais nommée, mais dont on sait d’emblée de qui il s’agit – la couverture est éloquente –, c’est une relation singulière qui se tisse entre Natacha et son beau-père. Un homme complexe, par côtés attendrissant et par d’autres détestable tant son hypocondrie provoque des réactions disproportionnées. C’est évidemment un Jean Carmet insolite, terriblement humain, qui se dessine sous la plume sincère et sans artifice de l’auteure, mais c’est aussi le visage de Tatiana Vialle qui prend forme, se densifie, s’expose en toute lumière. Comme si cette longue lettre avait mis le point final à la construction de cette « fille de » qui, finalement, a recherché toute sa vie à n’être que la fille d’un seul homme  : un père absent qu’elle a pourtant accompagné jusqu’au bout. Malgré tout. Un livre éloquent, fascinant et éminemment émouvant.

Nathalie Gendreau

 

Éditions Nil, Collections “Les affranchis”, 3 janvier 2019, 160 pages, à 15 euros.

 

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