Extrait (page 234)
“Au Soleil redouté”, Michel Bussi
“Journal de Maïma – Un, deux, trois.
Personne n’a osé exprimer la moindre remarque sur le tatouage de Tanaé. Après tout, il n’a rien de surprenant, l’Enata est l’un des motifs marquisiens les plus fréquents. N’empêche, j’ai quand même du mal à avaler la coïncidence… Il faut vraiment que j’en parle à Clem… De ce tatouage, et de Titine. Tout le monde à l’air de me prendre pour une folle, mais je sais bien que la véritable perle de Martine, celle qui vaut une fortune, a été échangée ! Il faut aussi que je demande à Clem pourquoi elle garde une vieille photo de Titine dans sa table de nuit. En passant devant le tiki aux fleurs, Clem a forcément remarqué qu’il ressemblait à Martine, rajeunie de plusieurs décennies.“
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥
Redoutable est le mot qui surgit quand la fin s’annonce. « Au Soleil redouté », c’est l’aveuglement assuré qui fait perdre tout sens logique. Avec ce thriller millimétré, mené d’une main audacieuse, Michel Bussi dépasse un cran dans le retournement de situations et l’originalité. Le stratagème réside dans la construction de l’histoire : elle passe inaperçue jusqu’à l’heure des explications. Au lieu de semer des indices pour permettre au lecteur d’élaborer des hypothèses probables ou crédibles, l’auteur instille le doute au compte-gouttes dans un raffinement rare de torture intellectuelle. La frustration de n’avoir rien remarqué est telle, la complexité de la trame est telle, l’envie de connaître la suite est telle que l’on n’a qu’une seule obsession : redécouvrir le livre avec la clé de compréhension pour saisir là où l’on aurait dû comprendre. Pourtant, l’intrigue a tout l’air banale : cinq lectrices ont gagné l’immense privilège de suivre pendant une semaine un atelier d’écriture dispensé par un romancier à succès, dont la plume chatouille le cœur des femmes malgré un physique rondouillard. Sous le soleil polynésien où tout concourt à l’inspiration, l’île d’Hiva Oa deviendra pourtant une prison étouffante et sanglante après une disparition et plusieurs morts, que l’assassin désigne avec le texte que les apprenties écrivaines ont écrit lors de l’exercice d’atelier d’écriture : « Avant de mourir, je voudrais… »
Les Personnages
Au cœur des Marquises, dans un décor paradisiaque, l’ambiance est au beau fixe dans la pension tenue par Tanaé et ses filles Poe et Moana. Les gagnantes du concours sont attablées sous la pergola. Il y a Éloïse, une très jolie brune au sourire triste, qui ne cesse de dessiner deux enfants ; Clémence (ou Clem), la plus assidue et rigoureuse, qui ne rêve que d’être éditée et croit tenir son unique chance ; l’aînée Martine (ou Titine) abreuve un blog de ses recommandations, adore Jacques Brel et élève dix chats. Marie-Ambre est la femme ultra-chic et snob d’un riche exportateur de perles, elle est accompagnée de Maïma, sa fille de 16 ans dont elle ne s’occupe guère. Enfin, Faryène est commandante de police, sèche et autoritaire, obnubilée par une enquête irrésolue. Elle est accompagnée de son mari Yann, un gendarme effacé.
L’intrigue
Aux premières heures de la disparition du romancier Pierre-Yves François, l’incrédulité prévaut. On croit d’abord à un jeu censé stimuler l’imagination. N’a-t-il pas martelé qu’elles devaient tout écrire et le plus sincèrement possible. Cet exercice, Clem le suivra à la lettre, ce sera sa « bouteille à la mer », dans laquelle elle ne glissera aucun mensonge, sans pour autant tout dire. Elle notera ainsi tous les faits et gestes, les siens et ceux des autres, pour démêler le vrai du faux et démasquer le ou la coupable des assassinats. Ainsi tiendra-t-elle le prochain best-seller ! Mais elle doit avant tout protéger son douloureux secret, à l’instar des quatre autres femmes qui sont loin de paraître ce qu’elles montrent. De son côté, Maïma écrit le journal de l’enquête qu’elle mène avec Yann qui prend de plus en plus d’assurance après avoir exclu sa femme des investigations. L’ado futée devient une précieuse adjointe montrant des aptitudes à la déduction et aux initiatives. Mais sera-ce suffisant pour empêcher la tuerie des apprenties romancières ? D’autant que Yann tarde à appeler la police basée à Tahiti, à quatre heures d’avion de l’île.
Pour approfondir
Avec « Au Soleil redouté », Michel Bussi s’amuse à jouer avec nos nerfs. Son huis clos à ciel ouvert à perte de vue sur la baie des Traîtres est le théâtre condensé et haletant d’un carnage programmé et un scénario hautement complexe, original et ingénieux. Voguant entre les « Dix petits nègres » d’Agatha Christie et le jeu de piste du Cluedo, le lecteur est ballotté entre la réalité et les probabilités. Les cinq lectrices deviennent chacune potentiellement coupables à mesure que leurs secrets se liquéfient sous la moiteur du soleil des Tropiques. L’auteur fait grimper la tension en s’inspirant des traditions et de la culture des Marquisiens (tatouages, statues appelées tikis, hakas, etc.), si mises à mal après cent ans de colonisation, et de la géographie escarpée de la plus petite île polynésienne où reposent Jacques Brel et Paul Gauguin. Mais il maintient le suspense jusqu’au bout grâce aux chausse-trappes tendues par ses trois narrateurs qui donnent tour à tour leur version des faits : Clem, Maïma et Yann. Mais si les narrateurs ne peuvent dire que la vérité, qui ment alors ? Un beau défi de compréhension pour le lecteur qui ne manquera pas de virer au casse-tête pour l’éventuel futur réalisateur désirant porter « Au Soleil redouté » à l’écran sans éventer le pot-aux-tiarés, la fleur si subtile et parfumée des Marquises.
Nathalie Gendreau
Éditions Presses de la Cité, 6 février 2020, 432 pages, à 21,90 euros en version papier et 11,99 euros en version numérique.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Michel Bussi n’a pas besoin de compliments, la fidélité de ses lecteurs dont le nombre est en augmentation constante est le témoignage renouvelé de son talent. Et si certains tentent parfois le qualificatif de populaire pensant que c’est un reproche je pense qu’ils ont tort et que le succès populaire est très souvent un gage de qualité.
Nathalie Gendreau rappelle opportunément que la construction de ce nouveau roman de Michel Bussi offre des réminiscences avec le fabuleux « Dix Petits Nègres » d’Agatha Christie. On ne peut faire meilleur compliment. Je sens que je vais devenir lecteur de Michel Bussi que j’ai ignoré jusqu’à maintenant trop sollicité par l’actualité et les auteurs qui peuplent déjà mon jardin secret.
Un mot tout de même sur cette chronique de Presta Plume. Elle aussi semble directement inspirée par Agatha Christie et le suspense que la « Maman » d’Hercule Poirot a porté à la perfection. Oui, oui, oui, j’ai envie de lire « Au Soleil Redouté » de Michel Bussi.