EXTRAIT
“J’ai rendez-vous avec Valdinievole au café, en face du parc, aux alentours de midi. Je ne connaissais pas ce charpentier de Collodi avant qu’il ne m’écrive. Oui, c’est lui qui m’a contacté. J’ai reçu une lettre étrange. Magnifiquement calligraphiée. Enluminée. Comme un conte pour enfants. Valdinievole me parle de l’existence de cet arbre qui donna le bois dont on fit Pinocchio. Comment n’y avais-je pas pensé ? Pinocchio est taillé dans une bûche de bois, nous l’avons tous lu, mais cette bûche vient forcément d’un arbre ! L’arbre de Pinocchio ! Valdinievole me parle d’une colline et d’une forêt qui bruisse de mots quand on la traverse. Comment nous a-t-il trouvés à Moirans ? pourquoi m’a-t-il écrit ? Pourquoi nous propose-t-il de nous montrer cet arbre ? Valdinievole ne serait-il pas l’arrière-arrière-petit-fils de Geppetto ? J’adore cette idée ! Je me raconte tout un tas d’histoires, mais c’est comme ça qu’on vit.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Jean-Marie Gourio, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, emprunte ses mots à l’enfance enracinée. “L’arbre qui donna le bois dont on fit Pinocchio” est le premier de ses textes qui inaugure la collection “Papillon”. Un titre évocateur, aux attributs de légèreté, de beauté et de poésie. Un roman coup de cœur au ton qui lâche l’impertinence truculente des “Brèves de comptoir” au profit de l’innocence métaphorique. Un conte épistolaire qui ranime les aventures de Pinocchio avec l’idée de sublimer la croyance en ses rêves. C’est un hymne à la vie, à l’enfance, à la confiance, à la réalisation de soi, au pardon, avec en cadeau une immersion lumineuse dans une Italie bucolique, authentique, chaleureuse.
Les parents de Giacomo sont fabricants de jouets dans le Jura, leur entreprise périclite, la santé du père aussi. La désaffection des enfants pour les jouets en bois en prédit la fin. Pour l’éviter, Giacomo part en Italie, en Toscane, à Collodi, dans ce village où vivait le créateur du Pinocchio. Un mystérieux correspondant a semé l’espoir dans le cœur de ce fils aimant, à l’enfance bercée par l’histoire du pantin menteur. Il existe une forêt, aux alentours de Collodi, où pousserait un arbre doué de parole. Pour lui, c’est le miracle qu’il attendait. Sa mission est simple : trouver cet arbre, tailler des Pinocchio dans ses plus belles branches et les vendre pour offrir des pantins vivants aux enfants et une seconde jeunesse à son père.
Giacomo y croit et se voue totalement à sa mission, comme l’auteur croit à la beauté des mots. Les courriels qu’il envoie à sa mère sont pétris d’amour. Un amour vivifiant, qui se sculpte dans la pureté et la justesse des mots qui sont comme ce bois, tendre et commun, dont on fit Pinocchio. L’art du menuisier qui taille, creuse, rabote, lisse s’exprime par la profondeur des sentiments qui donne forme sous les yeux ébahis du lecteur à un Pinocchio intérieur qui sourit, gesticule et s’emballe sous l’impulsion de vie.
Le scepticisme n’a pas droit de cité, Jean-Marie Gourio ne lui laisse aucune place pour s’exprimer. Il n’effleure même pas l’esprit, tant l’espérance véhiculée est forte, tant l’auteur sait faire éclore dans le cœur du lecteur ce bourgeon de fantaisie, engourdi dans un passé, jamais si lointain, où la magie et le merveilleux étaient de joyeux compagnons de voyage qui faisaient croire que tout était possible, même l’impossible.
Éditions Julliard, collection “Papillon”, avril 2016, 168 pages, 14 €.
Interview de Jean-Marie GOURIO
Nathalie Gendreau. La collection “Papillon” chez Julliard a été créée cette année. Quelle en est la genèse ?
Jean-Marie Gourio. La collection “Papillon” a été créée par moi après les attentats de Charlie Hebdo. À une époque, j’ai été rédacteur en chef adjoint du journal et ce sont mes amis très proches qui ont été assassinés. J’ai décidé de créer une collection dans laquelle seraient publiés des romans fraternels, amusants, surréalistes, aimants, en réaction à cette violence. Pour l’instant, cette collection ne publie que mes propres écrits. Nous verrons par la suite.
N. G. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce conte épistolaire sur Pinocchio ?
J.-M. G. Je voulais me rapprocher de l’enfance et de sa douceur. On peut affirmer sans risque que Pinocchio en est le digne réprésentant. Pinocchio est un personnage libre et terriblement vivant, un enfant de bois qui devient de chair grâce à l’amour que Gepetto lui porte. On peut considérer alors que le chemin fait par le personnage, du bois à la chair, serait le contraire de nos malheurs, qui nous font passer de la chair vive au bois dur des sentiments meurtris. Ce chemin vers le vivant m’attire. Comme il doit nous attirer tous. L’idée m’est venue qu’il y avait bien un arbre dans lequel l’enfant de bois avait été taillé. Le trouver m’a paru être un joli sujet de roman. Partir à sa recherche ! Un trésor. Où ? Dans son village natal, évidemment. Collodi. Au fond, c’est une idée toute simple. Il fallait seulement qu’elle se pose sur moi. Comme un papillon léger, sur le haut de mon crâne.
N. G. Avez-vous fait le même voyage initiatique que Giacomo, ce fils aimant prêt à croire l’incroyable pour sauver son père et l’entreprise familiale ?
J.-M. G. J’adore l’Italie. Je vais souvent à Rome. À Naples. À Florence. J’aime aussi la Sicile. L’Etna. Je suis en effet allé à Collodi. Je regardais les grands arbres comme de possibles pères à Pinocchio. J’entendais des voix d’enfants dans les branches qui grinçaient au vent. L’Italie porte en elle les arts et la douceur des collines. J’adore la cuisine italienne et le vin !
N. G. Vous abordez les thèmes de l’exil et de la parentalité. Quel message vouliez-vous faire passer ?
J.-M. G. Il faut s’aimer. Où que l’on soit sur la terre. C’est la seule chose qui vaille et qui permette la réalisation de tous les projets. Les aide, en tous les cas. Les attentats sanglants de ces derniers mois en sont une preuve supplémentaire. Notre cœur sera notre
arme la plus solide et la plus tranchante.
N. G. Vous avez mis un point final aux Brèves de comptoir après les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo. Vous vous consacrez désormais à l’écriture romanesque. Ce changement de registre est-il définitif ?
J.-M. G. J’ai arrêté les Brèves de comptoir. Le brouhaha des mots des bars. Comme une minute de silence qui serait définitive en l’honneur de mes amis morts, de ma famille hachée par les armes. Je vais me consacrer à la littérature. Écrire comme on plante des fleurs, j’espère, ou des légumes ! De la couleur et des parfums ! Une aventure plus intime qui me permet de me rapprocher au plus près du cœur des gens.
N. G. Au vu des romans qui vont paraître (octobre 2016 et mars 2017), votre imagination semble illimitée. Où puisez-vous votre inspiration ?
J.-M. G. Dans l’air. Dans le ciel. Dans l’eau. Dans les yeux des gens que je croise dans les rues. Dans le parfum du pain. Dans la musique et dans les livres. Dans l’odeur de l’herbe coupée. Dans les rires au comptoir. Dans les flaques de pluie. Dans le silence. Dans le ronron d’un chat. Dans l’actualité qui nous frappe chaque jour. Dans la peur aussi. Dans le désespoir. Dans les larmes aussi. Dans les rires. Dans les noms sur les tombes qui s’effacent. Dans la mousse qui les recouvre. Dans la chaleur. Dans l’ombre d’un arbre au soleil.
N. G. Quels sont vos autres projets ?
J.-M. G. Mes prochains romans raconteront : une famille (père, mère et deux enfants) qui se transforme en oiseaux pour partir en voyage vers la Laponie et vivre libre ; un jeune homme, musulman, apprenti menuisier, confronté à la fabrication d’un Christ en bois par son patron menuisier ; une baleine découverte dans le Lac d’Annecy ! Ce sont mes trois prochains sujets qui empruntent au réel et au rêve. Voir plus et entendre plus que ce qu’il y a réellement. La vie augmentée.
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Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !