PORTRAIT PASSION
Depuis trente-cinq ans, Anne Gravoin mène deux carrières de front à la baguette de la passion : violoniste soliste et producteur exécutif musical. Dans ces deux domaines exigeant rigueur et volonté, elle n’épargne ni son temps ni son énergie, puisant sa force dans le plaisir de jouer et de monter de fabuleux projets via son entreprise « Music Booking Orchestra ». De l’enregistrement de musiques de film aux tournées, de la musique classique à la variété, la virtuosité de la musicienne a bien deux visages. Retour sur un parcours professionnel intense et des projets à la mesure de ses aspirations.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Anne Gravoin ne chôme pas. Elle semble avoir le don d’ubiquité tant elle est partout à la fois, dirigeant son entreprise Music Booking Orchestra d’un côté et manageant sa carrière de violoniste soliste de l’autre. Ce sont deux cordes majeures à son arc qui s’accordent parfaitement, et dont elle sait tirer le meilleur sans distinction. Sa botte secrète ? Y mettre autant d’énergie que de cœur dans ces deux activités qui s’imbriquent dans un chassé-croisé pas toujours aisé à tenir dans les agendas. Et pour cela, elle peut compter sur l’aide efficace de sa chargée de production Valérie Desbordes. « Elle est formidable, insiste Anne Gravoin, qui souhaite lui rendre hommage. Elle accomplit un travail colossal entre la gestion des musiciens (planning, RH, logistique) et une partie de l’administration ! »
Ainsi soutenue, au printemps, en toute quiétude d’esprit, Anne Gravoin alternait entre la tournée « Dignes, Dingues, Donc » de Véronique Sanson qu’elle accompagne au violon (prolongation jusqu’à fin décembre 2018) et le 18e Festival « Opéra en plein air » avec Carmen de Bizet, mise en scène par Radu Mihaileanu, où elle est premier violon. Sa dernière représentation se déroulera dans la Cour carrée des Invalides du 5 au 8 septembre. Pour clore la saison du Festival, l’orchestre d’Anne Gravoin jouera pour la grande Diva de Jazz américaine Liz MC Comb au château d’Haroué (Lorraine) le 2 septembre et dans la Cour carrée des Invalides à Paris le 9 septembre, sous la direction de Nicolas Guiraud. Cet été, Anne Gravoin a monté une équipe pour l’enregistrement du nouvel album de Nolwenn Leroy en juillet et, en août, pour le grand compositeur américain Marco Beltrami pour l’enregistrement de la musique du film de Jean-François Richet, « L’empereur de Paris », avec Vincent Cassel et James Thierrée, qui sortira en décembre prochain. « C’est la première fois que j’enregistre avec Marco Beltrami, précise Anne Gravoin. Je le dois à une femme fabuleuse : Varda Kakon. Elle est superviseur musical pour le cinéma, c’est-à-dire qu’elle aide les compositeurs à choisir les angles musicaux pour leur film. »
De toutes ses rencontres, le cœur grand ouvert à toutes les sensibilités musicales, la musicienne chef d’entreprise nourrit ses différentes activités qui ont la musique comme dénominateur commun. Ces deux carrières menées en parallèle illustrent d’une façon exemplaire sa forte personnalité qui en a fait une femme déterminée et ferme dans ses choix de vie. À commencer par le violon. « Mon père était violoniste. Toute petite j’entendais cet instrument que j’adorais. J’ai commencé par le piano, mais très vite, j’ai eu envie de faire comme mon papa », confie-t-elle. Et son plus beau souvenir est celui où son père lui a apporté son premier violon. « J’avais huit ans et demi, poursuit la musicienne, souriant à cette tendre et forte évocation. Six mois après, je savais que je voulais en faire toute ma vie. » C’est ainsi que la petite Anne est entrée en classe de sixième, en horaires aménagés. Tous les après-midi elle allait au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, plus tard au Conservatoire supérieur de musique de Paris où elle obtient le Premier prix de violon à l’unanimité. Elle aura travaillé avec Dominique Hoppenot, Gérard Poulet et Myriam Solovieff.
Parvenue jusqu’au bac, Anne décide d’arrêter les études. Elle ne veut pas attendre pour gagner sa vie. Elle devient professeur de musique dans deux conservatoires du Val-de-Marne (Thiais et Plessis-Trévise), de 1984 à 1993. Elle enchaîne les remplacements de prestige, notamment au dernier pupitre des premiers violons pendant quatorze ans à l’orchestre philharmonique de Radio France, ainsi qu’à l’Opéra de Paris. « J’ai adoré cela ! s’illumine Anne Gravoin, l’œil pétillant. Ces remplacements ne m’ont pas empêché de faire ce métier comme intermittent de spectacle pendant très longtemps. » Elle accompagne ainsi des artistes de variété, comme Charles Aznavour, Laurent Voulzy, Marc Lavoine, Michel Jonasz, Françoise Hardy, etc., en studio comme en tournées en France et à l’international. Par exemple, en 2013 et 2014, elle fait partie de la tournée « Sur le chemin » du chanteur Emmanuel Moire pour plus de 70 concerts en France, en Suisse et en Belgique. Elle fait également des tournées au Japon, en Chine, en Amérique centrale, à Dubaï… « J’ai fait le métier dans tous les sens du terme, je l’ai vraiment aimé. Mais je savais que je ne voulais pas faire que cela toute ma vie. »
En effet, très jeune, Anne Gravoin a toujours eu envie d’avoir des responsabilités, d’être son propre patron, de projeter sa carrière d’artiste dans une dimension plus étendue, qui étofferait sa première formation de musicienne. En parallèle et à l’appui de son expérience de musicienne soliste, elle se lance dans une activité de producteur exécutif en 1988, qu’elle concrétise avec la société Régie Orchestre en 2003 qui deviendra Music Booking Orchestra. Sa société est l’une des trois régies les plus importantes de Paris. « Je monte des orchestres à géométrie variable allant d’une petite formation jusqu’à un orchestre plus important », explique-t-elle. Je ne construis pas les projets, j’apporte la matière première. » Ainsi, elle propose aux producteurs des enregistrements de musiques pour le disque, la publicité, la télévision, les bandes sonores pour le théâtre, etc.
Pour ce faire, la société recrute des musiciens issus des plus grandes formations orchestrales. Via sa société, Anne Gravoin fait travailler environ sept cents musiciens, des intermittents du spectacle qu’elle choisit en fonction de la demande. « Ce métier est particulier, je n’ai pas une banque de données dans laquelle je pioche des noms. La relation humaine est primordiale. Elle se tisse grâce à la confiance et au respect. » Ainsi, Anne Gravoin n’auditionne pas le musicien qui est le plus souvent coopté par des musiciens qui travaillent déjà pour Music Booking Orchestra. « Je leur fais confiance, et je suis rarement déçue, souligne-t-elle. Ils ont d’ailleurs tout intérêt à donner le meilleur d’eux-mêmes. Et la relation humaine est tout aussi, voire plus importante. S’il m’arrive de me séparer de mes musiciens, c’est beaucoup plus à cause de leur comportement que de leur façon de jouer. D’un autre côté, je dois gagner leur confiance et celle du producteur qui fait appel à mes services. »
Outre la confiance, le respect pour chacun est une évidence incontournable pour Anne Gravoin. Sur les grandes tournées, elle ne fait aucun distinguo entre le technicien à la lumière ou au son et le musicien avec lequel elle joue sur scène. « Voici trente-cinq ans que je fais ce métier, raconte-t-elle. L’expérience de passer par tous les stades du métier, c’est-à-dire de commencer en bas de l’échelle, vous apprend d’abord une chose très importante : respecter les gens dans tous les corps de métier, à n’importe quel niveau. Mais il faut un chef pour diriger l’orchestre, un chef respectueux. C’est indispensable. Telle une DRH, je suis à l’écoute et je gère les susceptibilités de chacun, leurs désirs, leurs problèmes, tout en étant ferme et sympathique, quelquefois dure. C’est indispensable, sinon cela ne fonctionne pas. »
Cette rigueur, cette discipline, cette exigence dans le travail qu’elle attend de ses musiciens, Anne Gravoin se les applique. Elle travaille son violon 1 h 30 tous les jours, même s’il y a des répétitions ou des concerts. “Le violon est un instrument qui ne pardonne pas la médiocrité, souligne-t-elle. La virtuosité s’entretient sans relâche pour parvenir à transmettre l’émotion.” Dans l’année, Anne Gravoin s’octroie seulement quinze jours de vacances sans violon. Au-delà, selon elle, ce serait la catastrophe. Et la musicienne passionnée qu’elle est ne souffrirait pas de mal jouer. Pour elle, rien n’est jamais acquis. La beauté du métier, c’est de se remettre sans cesse en question. Mais le travail n’empêche pas le trac. « Depuis que je joue en soliste, j’ai toujours le trac. Ce n’est pas un ennemi, mais un compagnon de route », complète-t-elle, en souriant. D’ailleurs, il ne dure pas, car il est balayé par le plaisir de jouer et de donner du bonheur aux gens.
Donner du bonheur aux gens passe donc par un travail constant de l’instrument, mais également par la nécessité de cultiver son propre équilibre par une hygiène de vie rigoureuse et par les relations qu’elle noue avec les différents artistes qu’elle accompagne. Souvent, ce sont de mémorables moments, parfois des rencontres extraordinaires. Ainsi, sa dernière tournée avec Véronique Sanson est pour elle une grande aventure humaine et musicale, mais surtout humaine. « Véronique est une femme fabuleuse avec un cœur immense. Quand on rencontre des gens aussi beau à l’intérieur – ce qui est rare –, c’est très enrichissant. C’est même magique ! J’adore mon métier ! »
En effet, Anne Gravoin adore son métier, elle le vit et le fait partager avec sincérité, conviction, dans un réel engagement. Ainsi est-elle devenue membre de la Fondation Internationale Yehudi Menuhin en 1986, dont la mission est la prévention de la violence et du racisme par la pratique des arts à l’école, et notamment des concerts. Par ailleurs, elle est la directrice artistique et le premier violon de l’Alma Chamber Orchestra. Cet orchestre de chambre français a été créé en 2013 à l’initiative de Zouhir Boudemagh, un passionné de musique classique, dans le but de diffuser la paix et le rapprochement des peuples. La dernière représentation en date s’est déroulée à la Philharmonie de Paris avec Martha Argerich, le 8 janvier 2016. De plus, sous l’égide de l’UNESCO, Anne Gravoin s’est rendue en janvier dernier au Conservatoire des Arts et métiers de Bamako, au Mali, avec son « Quatuor de France » formé de deux violons, un alto et un violoncelle. « Je repars en octobre pour apporter d’autres instruments, ajoute-t-elle. Nous allons apprendre à jouer des instruments à cordes classiques à des enfants, des ados, des jeunes adultes qui n’en ont jamais vu de leur vie. » En janvier 2019, elle retournera à Bamako pour le festival inter/multiculturel et multimusical « Équations Nomades ».
Parmi les nombreux autres projets à venir, citons la création pour les 26 et 27 janvier 2019 d’un orchestre philharmonique de 78 musiciens pour deux représentations de Vladimir Cosma, au Grand Rex. Et pour cette fin d’année est prévue la formation d’un Big band de Jazz pour le parc Eurodisney pendant trois mois et demi, avec treize musiciens : un piano, une batterie, une contrebasse, quatre saxes, trois trombones et trois trompettes. Si Anne Gravoin ne sait ni jouer du jazz ni improviser, elle voue une adoration pour cette musique et les musiciens qui improvisent, comme le violoniste français Didier Lockwood, son ami de trente ans décédé le 18 février dernier : « C’était un musicien de jazz magnifique, un temple extraordinaire de l’improvisation ». Bien qu’affectée par cette disparition brutale, la virtuose en violon et relations humaines peut compter sur son amour de la vie et des gens pour sublimer les épreuves et se ressourcer à travers les fabuleux projets musicaux à venir, riches en partages et en émotions, en France et au-delà des frontières.
©Michel NGuyen pour la photo de une.
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