Extrait
“Certes, nous sommes tous à la merci d’une chute, de là à en faire un livre… Les hôpitaux ne sont pas fait pour la gaieté, il ne s’y passe pas grand-chose de racontable qui ait sa place dans le feuilleton ou la romance. Ce récit n’est que celui d’un vide provisoire survenu dans la vie d’un homme, précédemment attirant et disponible, contraint par un accident à la nécessité pathétique d’être entouré par des soignants, des médecins reconnus dans leurs spécialités, cherchant malgré cela à aimer et être aimé. Mais où aimer, et plus encore, qui aimer ?” (Page 78.)
Avis de PrestaPlume ♥♥♥
Pour son nouveau roman « Ainsi vont les jours », Georges Memmi s’intéresse au huis clos introspectif d’un patient – le narrateur – qui se voit « dépossédé de lui », puisque privé de sa liberté de mouvement dans une chambre de l’hôpital des Bosquets, à la suite d’une très mauvaise chute. Quand il reprend conscience, il est confronté à la douleur violente et à l’immobilisation sans horizons, si ce n’est celui qui tantôt le nargue par la fenêtre, tantôt l’appelle aux fantasmes. Cet écrivain en chômage technique a deux solutions : ou il s’abandonne aux diktats de l’hôpital, subissant l’inconfort d’être manipulé sans ménagement ou un regard de compassion, et acceptant d’en prendre son parti jusqu’à la convalescence. Ou il prend en main son mental pour faire l’hôpital buissonnier et convoquer passé, présent et futur afin de réécrire son histoire personnelle. Et, en arbitre de ce nouveau terrain de jeu fantasmé, un autre « moi » qui devient « l’autre » prêt à siffler sans concession tout débordement.
Le personnage principal est un écrivain qui vit dans une ville du Midi, où il nourrit son inspiration aux paysages lumineux, aux sons évocateurs et aux odeurs suaves. Il s’en repaît au point d’éprouver une félicité sensorielle renouvelée. Un jour, alors qu’il promène cette hyper sensibilité au milieu des étals d’un marché aux fruits et aux légumes, il glisse et perd connaissance en heurtant le sol. Quand il reprend ses esprits, il se sent étranglé dans un corps qui ne répond plus. Transporté aux urgences, puis ballotté d’un service à l’autre, il est enfin déposé dans le lit de la chambre 412 et mis sous perfusion. C’est alors que ce bel homme, charmeur à la prose inspirée, découvre l’univers hospitalier… inhospitalier. Pour contrer la douleur aiguë et échapper à la rudesse des soins, il se dédouble et converse avec cet autre lui qui commentera sa façon de vivre les événements, le jugera tout en l’accompagnant dans ses désirs à peine refrénés vis-à-vis du personnel féminin. Pour caresser cette illusion qu’il n’est pas sur la touche, il entame avec Isabelle, sa gestionnaire de patrimoine, une relation virtuelle qui l’amène sur le territoire miné du mensonge, reportant à l’infini leur premier rendez-vous.
Dans son roman, Georges Memmi confronte l’homme épris de liberté contraint de dialoguer avec cet autre lui, alité, diminué, dépendant, pour ne pas devenir fou. Pour cela, il s’échine à « voler aux heures leur platitude », s’évadant dans des monologues à deux, pour continuer à exister et ne pas sombrer dans la neurasthénie. Le lecteur est entraîné à sa suite, alternant les deux faces du personnage, cueillant par brassées les pensées secrètes et indiscrètes. Seul le rituel des allées et venues du personnel soignant suspend les errements dans ce cerveau en ébullition, venant canaliser le débordement des pensées décousues et indisciplinées du malade. Cette réalité du présent ramène à la surface l’attention du lecteur qui tend à s’égarer entre « moi » et « l’autre », et les histoires réelles ou inventées. Mais ce flottement assumé par l’auteur met en lumière la cruelle solitude, celle qui peut terrasser les moins imaginatifs. « Ainsi vont les jours » est un cri d’alerte sur l’humanité et le combat intérieur de tout malade pour la conserver.
Nathalie Gendreau
Éditions de Fallois, 14 novembre 2018, 232 pages, à 18 euros en version papier et 13,99 euros en version numérique.
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