“Adieu Monsieur Haffmann”, une pièce d’orfèvrerie !

Temps de lecture : 4 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

Dans une atmosphère bleu nuit dépouillée d’artifice, le drame se devine sur la scène du Petit Montparnasse. Adieu Monsieur Haffmann nous projette à l’époque sombre de l’Occupation allemande et de la collaboration, des propos antisémites diffusés à la radio TSF et des privations. L’étoile jaune qui ponctue le « i » de « Adieu » sur l’affiche éclaire les escaliers qui mènent à la cave de la demeure de Monsieur Haffmann. L’histoire commence au lendemain de la rafle du Vél’ d’Hiv’. Joseph Haffmann ne peut plus fuir afin de rejoindre sa femme et ses quatre enfants réfugiés en Suisse. Aussi il propose à Pierre Vigneau, son talentueux tailleur de pierre, de lui confier la gestion de sa bijouterie s’il accepte de le cacher. Si la gravité du sujet promet de l’émotion et de la tension, la pièce de Jean-Philippe Daguerre surprend par cette brise comique qui décuple la force des sentiments ressentis. Son écriture vibrionne de décalages qui conduisent la pesante gravité à valser avec un humour souvent satirique. Cette union inattendue est le socle de la réussite de cette création bouleversante, qui est très bien servie par les cinq comédiens impliqués, complices et terriblement présents. Une pièce qui pourrait se voir consacrée, le 28 mai prochain, lors de la remise des Molières 2018, où elle est en lice dans six catégories, dont le « Meilleur spectacle du théâtre privé ».

Paris, 1942. L’étoile jaune et la spoliation frappent les citoyens de confession juive. L’étau de la machine nazie se resserre avec le zèle du gouvernement de Vichy. Joseph Haffmann ne peut plus gérer sa boutique, il ne peut plus fuir, il est pris au piège… comme un rat. Il est contraint de demander à son employé de le cacher jusqu’à ce que la situation s’améliore. Pierre connaît le risque d’héberger clandestinement un Juif. Le prendra-t-il ? Et comment convaincre Isabelle, sa femme ? Une idée fait son chemin, une idée folle, immorale et délicate à mettre en œuvre. Et si, en retour, il exigeait de son ex-patron qu’il couche avecAdieu Monsieur Haffman, critique théâtre, Jean-Philippe Daguerre sa femme jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Ainsi, « face au destin, nous serons quittes ! » conclut l’homme stérile. Au fil des semaines, Pierre Vigneau se plonge dans le travail et fait fructifier les affaires de la bijouterie grâce à la clientèle nazie, comme l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz. L’appât du gain aurait-il étouffé toute prudence ?

L’argument de la pièce peut paraître un tantinet facétieux face à l’horreur historique qui se rejoue. Là réside toute la force d’écriture de Jean-Philippe Daguerre qui installe une situation qui appelle le comique sur le lit du drame historique. Écrit d’un jet en sept jours, le scénario est une fulgurance d’intelligence, de rythme et d’intensité. Ce « chantage » au bébé vient dédramatiser la position humiliante d’un homme devant se terrer pour échapper à la mort. Mais cet accord n’est-il pas une autre forme d’emprisonnement qui le réduit à un objet reproducteur ? Certes, donner la vie en temps de guerre est un message optimiste. Le demander à un homme issu d’un peuple proscrit renverse magistralement la vapeur de ces trains de la mort. Cette situation n’est confortable pour personne. Par obligation, Joseph s’y astreint. Par besoin, la femme y consent. Par amour, le mari met son orgueil et sa virilité dans sa poche, et pour taire la jalousie qui enfle, il va apprendre les claquettes et travailler comme un fou, sans discernement éthique. En filigrane de cette pièce s’invite ainsi le thème de la collaboration, et la facilité avec laquelle les bonnes excuses viennent museler la mauvaise conscience, mais aussi défaire les liens pour s’en libérer.

Adieu Monsieur Haffman, critique théâtre, Jean-Philippe DaguerreAvec Adieu Monsieur Haffmann, le spectateur sonde le cœur des hommes et des femmes chahutés par la grande histoire, mais aussi par la leur, cette vie du quotidien qui louvoie entre le chaos collectif et les besoins individuels. L’auteur Jean-Philippe Daguerre réussit à nous faire entrer dans son histoire d’une grande humanité qui entremêle les sentiments (amour, courage, lâcheté, peur). Sa mise en scène est d’une sobriété exemplaire et astucieuse, la cave et la cuisine occupant les deux parties de la scène. Elle est mise en valeur par des effets de lumière signifiants qui soulignent l’intensité des échanges et l’introspection des personnages. Dans le jeu des cinq comédiens, c’est encore l’économie qui frappe. L’économie des gestes et des mots. Pas d’effets de manche ni de démonstrations larmoyantes. Tout est retenu, comprimé en soi, prêt à imploser. Les regards habillent les mots de lumière et créent de vives émotions. Ce soir-là, Alexandre Bonstein (Joseph Haffmann), Charles Lelaure (Pierre Vigneau), Julie Cavanna (Isabelle Vigneau), Franck Desmedt (Otto Abetz) et Charlotte Matzneff (son épouse) ont endossé leur rôle à la perfection, dans une belle osmose, donnant vie à leur personnage au point de nous faire croire à la suprématie du cœur sur la déraison collective.

Nathalie Gendreau

©Evelyne Desaux


Distribution

Avec : Grégori Baquet ou Charles Lelaure, Alexandre Bonstein, Julie Cavanna, Franck Desmedt ou Jean-Philippe Daguerre, Charlotte Matzneff ou Salomé Villiers.

Créateurs

Auteur : Jean-Philippe Daguerre
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre
Assistant à la mise en scène : Hervé Haine
Collaboration artistique : Laurence Pollet-Villard

Lumières : Aurélien Amsellem
Musique : Hervé Haine
Décors : Caroline Mexme
Costumes : Virginie H

Du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 15 h, jusqu’au 3 juin 2018, excepté le 1er mai et le 25 mai.

Au Théâtre du Petit Montparnasse, 31 rue de la gaîté, Paris 75015.

Durée : 1h30.

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