“A vrai dire”, le sacre du mensonge

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

Critique éclair

Si vous viviez dans un monde 100  % sincère, sans une once de mensonge, et si tous vos propos étaient pris comme argent comptant, quelle serait votre réaction ? Manuel Gélin et Sylvain Meyniac vous proposent de découvrir au théâtre du Gymnase celle qu’ils ont imaginée avec la comédie « À vrai dire » qu’ils ont coécrite. Idée surprenante et inédite, mais qui plonge d’emblée dans des premières scènes surréalistes où les cinq personnages disent franco ce qu’ils pensent. Par l’absence de filtres, les dialogues sont crus, grinçants, mordants, assaisonnés, chaque personnage se renvoyant le flashball de la vérité avec détachement, sans inhibition ni autocensure. L’originalité de l’histoire enchante et fait une percée dans les esprits. Et si c’était possible ? se dit-on béat. La vie serait si facile ! Croyez-vous ? A priori, ce monde où la vérité a seule droit de cité et où la manipulation ne pourrait exister, ni les promesses sans lendemains, ni la crédulité abusée, serait le paradis, dont certains d’entre vous rêvent peut-être. Par une ingénieuse preuve par l’inverse, « À vrai dire » démontre combien il faut se méfier de la réalisation des souhaits. Un tel monde transparent pour tous ne serait-il pas bâillonné, privé d’un destin choisi et de matins neufs ? Le mensonge, dans certaines limites, ne rend-il pas, au contraire, libre, heureux, décomplexé ? Mieux  : ne rend-il pas meilleur ?

Résumé

Sam (Cyril Couton) est un peintre raté et fauché, à la gentillesse touchante qui ne s’émeut d’aucune réflexion blessante. Il est heureux de fêter son anniversaire chez lui avec Mathieu (Xavier Letourneur) son frère publicitaire qui le soutient par devoir et sa belle-sœur Anne (Jessica Borio) une galeriste affairée qui ne cache rien de ses aventures extraconjugales. Il a également invité ses amis Simon (Manuel Gélin), un présentateur TV ingénument imbu de sa personne, et Marie (Enora Malagré), une biographe insensible aux tentatives d’approche de Sam qui l’aime en secret. Loin d’être idéal, l’anniversaire est une fête avortée, car chacun s’empresse de partir sitôt arrivé. Sam est si inintéressant qu’il endormirait un insomniaque. Alors qu’il tente de retenir la flamme de son cœur pour se déclarer, celle-ci douche ses ardeurs par la moquerie et le dégoût. Désespéré, Sam tente de se pendre à sa guirlande d’anniversaire et s’électrocute. Quand il reprend ses esprits, il s’aperçoit qu’il a la faculté de déformer la vérité. Une révélation que son imagination va faire prospérer ! Peu à peu, l’heureux et unique élu aiguise ses distorsions de vérité, métamorphosant sa vie de petits riens en vie de grands tout. Du raté indésirable, il se rend indispensable.

Pour approfondir

Manuel Gélin et Sylvain Meyniac se sont faits l’avocat du diable en écrivant « A vrai dire ». En louant la vérité comme inhérente à l’espèce humaine, ils font le lit du mensonge avec l’espièglerie de ceux qui se plaisent à jouer un excellent tour. Un tour qui n’est pas seulement excellent, il est hilarant. L’écriture sert l’éloquence de la démonstration. On ne peut s’empêcher de réfléchir à cette faculté que l’être humain a de mentir, manipuler, détourner, feinter, imaginer… Autrement dit, créer ! Ainsi, le mensonge ne serait que la face cachée, mais incontournable, de l’art de créer sa vie en transformant une réalité par une autre. Paumé dans un monde de vérité, Sam devient intelligent dans un monde de mensonge. Affabuler lui permet de se réinventer, de se donner une chance d’exister. Il devient surtout acteur de sa vie. Après « A vrai dire », dur de voir le mensonge d’un œil accusateur et intransigeant  !

Portés par ces mots chauffés à blanc et une mise en scène (de Catherine Marchal) au plus près des personnages, les cinq comédiens soutiennent l’histoire avec conviction et s’amusent de leur personnage, pas si caricatural et en devenir, qui leur offre une variation de jeux intéressante. Au basculement de la situation, quand le généreux peintre raté partage son heureuse trouvaille, les forces en présence s’inversent. L’intelligence, finalement, a changé de camp. Et laisse entrevoir qu’elle ne serait qu’une abstraction rendue réalité par un mécanisme de réflexion formatée, qu’un grain de sable, une étincelle – appelons-là comme on veut – rend malléable et transformable. Cette lente transfiguration des personnages est discernable par la justesse de l’interprétation et l’énergie communicative qui font résonner les rires. La magie du théâtre s’opère, rendant vrai l’invraisemblable, faisant de la soirée une franche réussite. Et ça, ce n’est pas un mensonge  !

Nathalie Gendreau
Première Photo © Jean Rauzier


Affiche "A vrai dire"Distribution
Avec : Manuel GELIN ou Christian CHARMETANT, Enora MALAGRE, Cyril COUTON Jessica BORIO, Xavier LETOURNEUR

Créateurs
Auteur : Sylvain MEYNIAC et Manuel GELIN
Metteur en scène : Catherine MARCHAL
Décors : Caroline LOWENBACH
Lumières : Stéphane BAQUET
Costumes :Chloé BOUTRY
Musique originale : MEYLIN

Du mardi au samedi à 21 heures, le samedi à 16 heures et le dimanche à 18 heures jusqu’au dimanche 26 avril 2020.
représentations spéciales le mardi 24 décembre à 20 heures et le mardi 31 décembre à 17 heures et 21 heures.

Relâche entre le 6 janvier et le 2 février 2020.

Au théâtre du Gymnase Marie-Bell, 38 boulevard de Bonne Nouvelle, Paris Xe.

Durée : 1 h 30

1 réflexion au sujet de « “A vrai dire”, le sacre du mensonge »

  1. “Standing ovation” pour le texte de la critique de Presta Plume en attendant d’être enthousiastes et debouts dans le théâtre du Gymnase.

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